31 mai 2007

Journal de Venise, 1985

"Venise est une ville de sensations, et non de concepts" a écrit Gabriel Matzneff dans l’Archange aux pieds fourchus, "on y vit à fleur de peau, à fleur de nerfs, et c’est pourquoi je l’aime"… Tout est dit. Chaque fois que je prends ma plume le matin, je me pose la même question : Pourquoi ce besoin d’écrire encore sur Venise quand d’autres, comme cet auteur, dont les journaux intimes et les récits ont bâti ma conscience et dirigé mes pensées tout au long de mon adolescence, l'ont tellement mieux fait ? 

Qui disait justement qu'on ne peut plus écrire sur Venise. Peut-être simplement parce que Venise est tellement liée à ma vie, tellement mêlée à mes sens, mes souvenirs, mes idées, mes désirs que parler d’elle c’est expliquer – aux autres comme à moi-même – ce que je suis vraiment. Ce que je pense et ce qui me fait vivre… Lourde tâche. Rester sobre et pudique. On me reproche déjà souvent cet étalage d’indiscrétions sur ma vie intime, sur les miens…

 Une de mes cousines me disait il y a quelques jours combien elle trouvait cela impudique et vain. Elle a peut-être raison. Cependant les courriers que je reçois semblent prouver au contraire que ce travail a tout de même une certaine utilité, puisqu’il plait à mes lecteurs. Allez, j’en rajoute une couche, quitte à déplaire à ma chère cousine : je viens de relire quelques pages de mon journal de jeunesse. Premier trimestre 1985. J’étais totalement sous influence : Montherlant, Matzneff, mais aussi Mauriac et Huguenin … Je découvrais la liberté, la solitude, l'exil mais aussi le bonheur de vivre à Venise.

Jeudi 7 février
Je commence le volume du journal de Matzneff. 

Page 57, cette belle description : "Outre la patrie où le destin nous fait naître, il y a la patrie d’élection, qui est celle que nous choisissons. Pour nous les décadents, les rebelles, qui nous sentons en marge du monde moderne, cette patrie ne peut être que Venise. Venise est une ville pour vivre la « vie inimitable » ; mais aussi une ville pour mourir…"
"Venise, la ville des bonheurs fugitifs et des mélancolies subtiles. Sous les coupoles bulbeuses de ses églises, sur les eaux dormantes de ses canaux, à l’ombre fraîche de ses ruelles, nous attendons les barbares, un sourire d’indifférence aux lèvres, sachant que, quoi qu’il advienne, c’est nous qui aurons eu la meilleure part…"
 
[...]

Venise est la ville qui personnifie le mieux l’Europe véritable. Autrefois l’Europe des chevaliers et des moines. Puis l’Europe des fils de Roi et des des conquérants. Aujourd’hui, l’Europe des boutiquiers.
 
[...]

Venise est ce qui reste du grand rêve byzantin. Ceux qui foulent ses pavés chaque jour se rendent-ils compte qu'ils posent leurs pieds sur les vestiges d'une gloire universelle ?
[...]

Demain rencontre avec Hugo Pratt, le voyageur bienveillant.

Vendredi 8 février
Rencontre avec Hugo Pratt ce matin,à la Bevilacqua la Masa, place Saint Marc. Interview réussie je crois. Personnage sympathique, bienveillant. Les yeux bleus, le sourire affable. Rien à voir avec le rictus faux et commercial du galeriste G. pour qui je travaille. Long moment hors du temps et du monde avec le père de Corto Maltese. Passionnant.

Le carnaval commence demain.

[...]

Renvoyé de la galerie. Me voilà libre enfin. Mais dès le 1er avril, il me faudra trouver au autre appartement. Dachine Rainer, très gentille, cherche à m’aider. Je lis sa pièce "copper coloured" et quelques notes de son futur journal de Venise dont elle me demande de corriger les noms italiens qu’elle a tendance à confondre ou à écorcher. J’aime ce travail de relecture. Une modeste participation à l’acte créateur d’un autre. Un apprentissage.

Dimanche 10
Il fait froid mais très beau aujourd’hui. La ville est en liesse. Quel ennui que ce carnaval qui perturbe tout et amène une foule de personnages bruyants et excités.
...
"Prendre une décision, c’est rajeunir de dix ans", dit Matzneff. C’est pour cela que je me sens aussi guilleret ce matin. J'ai quitté Graziussi qui finalement aurait aimé me garder dans sa galerie, et je vais changer d’appartement. Parviz doit quitter celui qu’il occupe avec Bijan à Dorsoduro. J’irai m’y installer.

Jeudi 14
Ça y est, j'ai les clés de l'appartement des persans. Calle Navarro, près du petit marchand de fruits. Nous allons être bien Rosa la chatte et moi. Ma table à écrire sera devant la fenêtre, au-dessus des toits !

[...]
Je crois en mon étoile vraiment. J'ai longtemps su ce que je désirais sans vraiment savoir y parvenir. Je n'étais pas prêt. Les circonstances ne m'y portaient pas. Aujourd'hui, j'ai la certitude d'être enfin sur le chemin.

[...]

Vivaldi, le film

Il fallait bien que cela arrive un jour. La musique de Vivaldi, les merveilleux décors naturels qu'offre Venise et tous les clichés (devenus lieux communs universels) sur les masques, le carnaval qui durait six mois, l’Église revêche et inculte avec son inquisition redoutable, les courtisanes et les intrigants, les amours faciles, Casanova et le Marquis de Sade... Tout cela devait nous être servi après avoir été dépoussiéré comme Mademoiselle Coppola tenta de le faire avec son ridicule "Marie-Antoinette" sur fonds de musique rock. Ici, le fonds sonore est plaisant puisqu'il s'agit presque exclusivement de la musique du prêtre roux (et au demeurant dans une interprétation de qualité). Mais le scénario prend beaucoup de libertés avec la réalité, le contexte de l'époque, renforçant, sans le vouloir certainement, la vision erronée et superficielle que le monde a de la Venise du XVIIIe siècle...

Je me demande s'il n'y a pas parmi les auteurs des corses ou des génois qui n'auraient pu s'empêcher de prolonger l'indicible haine de leurs ancêtres contre la Sérénissime République, sa réussite et son peuple... Bref un film loupé, raté, saccagé où de grands et bons acteurs se fourvoient dans une pantomime qui ne leur fait pas honneur. Serrault en évêque, Galabru en pape... Certes Venise est présente mais à la Sophie Coppola justement : plans mal cadrés laissant apparaître les enlaidissements modernes, les antennes de télévision (mais oui !), les fenêtres en métal et les volets en plastique. J'ai cru même voir des câbles téléphoniques et des lanternes modernes laissées sur les façades. 
 
Certes à Venise, l'atmosphère générale est vite rendue pour un public peu connaisseur. Ne suffit-il pas d'une gondole, d'un pont de brique et de pierre blanche pour que l'on s'y croit ? Les costumes sont beaux, parfaitement adaptés au film mais parfois trop aux critères de Hollywood. Pourtant c'est Cinecittà qui était dans le coup puisque c'est la vénitienne Antonia Sautter, costumière émérite du cinéma italien qui en est l'auteur. Ceux qui arpentent Venise connaissent sûrement son atelier Venetia où elle crée de très beaux vêtements, Max Art Shop et Il Sole e la Luna, sur les Frezzeria, dont les vitrines regorgent de marionnettes et de masques luxuriants.
 
En dépit des acteurs et des costumes, de la beauté effective des lieux, on ressort de là avec une impression de bâclé, de pas fini qui décevra les amis et les amoureux de Venise. Le compositeur est vu comme un personnage casanovesque souffreteux et bien triste aux prises avec l'autorité, sorte de créateur rebelle et révolutionnaire. Bref un caractère français là où on aurait dû trouver un personnage typiquement vénitien. Ou plutôt une fois de plus une vision moderne de l'homme et de l'esprit du XVIIIe siècle endommagés par la propagande républicaine radicale des siècles suivants (la maîtresse d'un de mes enfants enseignait à sa classe que le "gros" (sic) et "bête" (re-sic) roi Louis XVI avait fait tailler toutes les tables de Versailles en creux pour pouvoir y approcher sa bedaine ! où 'histoire de France revue par l'école de la République, Obélix et Louis même combat !). Enfin, et j'en resterai là, on veut montrer l'histoire d' un ecclésiastique musicien de génie pur produit du XVIIe siècle (né en 1678, il meurt en 1740) au milieu de jolies patriciennes et d'aristocrates philosophes de la fin du XVIIIe siècle. Christian Vadim qui est Goldoni - qui effectivement collabora avec Vivaldi sur des livrets d'opéra dans les dernières années du compositeur -, apparaît dans ce film vêtu comme on le fut dans les dernières années de l'Ancien Régime... Cet amalgame est horripilant. 
 
Je n'ai jamais aimé dans le cinéma les libertés prises au nom de la création artistique et qui font se pâmer quelques intellectuels trop à l'aise dans l'à-peu-près historique. Souvenez-vous le "Casanova" de Fellini. Il m'a horripilé. Autant que la vision allemande, noire et morbide de la Venise de Thomas Mann qu'avait si bien rendu Visconti dans son "Mort à Venise". Non, je préfère la légèreté du "Casanova" de Comencini, terriblement, authentiquement vénitienne. Je vais appeler mon ami Roberto Ellero, le responsable du cinéma à Venise, pour savoir s'il a vu le film et ce qu'il en pense. Je crois qu'il est urgent que Venise demande un droit de regard sur ce qui se fait dans le monde sur elle et s'arroge le droit (un devoir ?) de s'opposer à tous les projets qui répandent dans le monde une vision erronée de la Cité des Doges d'hier à aujourd'hui. Certes, le cinéma c'est le rêve, la fantaisie, l'imagination, la passion, mais pas le mensonge ni la dérision. Encore moins la crétinisation du spectateur.
 
Je ne prône pas une censure mais la mise en place d'une protection. On prend trop de liberté avec la réalité et c'est comme cela que 98% de l'humanité pense que Venise s'enfonce inexorablement, sent mauvais, que les doges étaient d'affreux tyrans assoiffés de pouvoir et d'argent, que la République avant l'intervention du petit coq corse était un bouge puant le stupre où l'aristocratie décadente et les aventuriers de la terre entière venaient s'enivrer de plaisirs défendus sous le regard hypocrite de l'Inquisition... Pourquoi ne pas demander une motion qui serait inscrite au générique de début des génériques précisant que les auteurs ont pris d'évidentes libertés avec la réalité et que le film présenté est de pure fiction afin de faire comprendre que la vraie Venise n'est pas celle qui va être vue dans les images qui suivent... 
 
Mais bon, je ne veux pas me lancer dans un combat à la Don Quichotte ! Allez voir le film et donnez-nous votre avis. C'est un plaisir pour l'oreille et d'une certaine manière pour les yeux aussi mais doit-on faire abstraction de l'histoire, des faits, des caractères en présence ? 
 
En attendant, je viens de trouver une critique du film qui va dans mon sens. Je vous la livre dans son intégralité : 
Cinéphages, cinéphiles, aspirants cinéastes du monde entier, la Mecque cinématographique se situe désormais à Saint-Médard-en-Jalles. C’est dans cette petite ville au cœur de la Gironde que se trouve l’unique salle qui diffuse Antonio Vivaldi, un prince à Venise.
Immense nanar qui défie tous les superlatifs de nullité, ce Vivaldi n’est pas près d’être oublié pour quiconque aura eu la chance (si, si, c’est une chance à ce niveau là d’incompétences) de le voir. Réinventant durant une heure et demi le dicton « incroyable mais vrai », le film de Jean-Louis Guillermou offre l’immense privilège de découvrir ce que Amadeus aurait pu donner s’il avait été tourné avec un budget de deux francs six sous par un cinéaste porno bourré dirigeant une brochette de « comédiens » sous cocaïne. Les moments de se tordre de rire (si on décide de prendre le bon côté de la chose, l’autre étant bien évidemment de s’enfuir de la salle au plus vite) sont ainsi légions.
Entre les délires de cadrage où l’on ne voit même pas l’acteur qui parle et où l’on découvre que Venise au 17ème siècle était déjà équipée en antennes télé, la pauvreté des décors (ah la cave familiale où Vivaldi fait toutes ses réunions) ou de la reconstitution historique (le souper royal façon Les Bidochons au camping), le vide sidéral de sens des dialogues assénés à répétition (cinq fois la même situation en un quart-d’heure) et le jeu ahurissant de comédiens littéralement fous (Galabru jouant le pape comme il jouait les gendarmes, Serrault pétant une diurite et se lançant dans un numéro de trompettiste à faire pâlir Charlie Parker, Stefano Dionisi en Vivaldi donnant à tous les Rocco Siffredi du monde le droit de recevoir automatiquement un Prix d’interprétation dans les festivals du monde entier), Antonio Vivaldi, un prince à Venise est une « perle » cinématographique, un événement comme on n’en voit qu’une fois dans une vie consacrée à arpenter les salles obscures.
Direction Saint-Médard-en-Jalles ?
 Il me semble que tout est dit. Quelle tristesse pour ces acteurs comme pour la mémoire des personnages évoqués que cet incroyable navet. N'en parlons plus et oublions-le !
 

29 mai 2007

L'insolite a pignon sur canal à Venise.

Quand à Venise, les pianos voyagent au fil de l'eau, la musique pourrait-elle se faire ici autrement que limpide ?

28 mai 2007

La maison du Tintoret sur la Fondamenta dei Mori

Au numéro 3399, sestiere di Canareggio. C'est là que Jacopo Robusti, dit Le Tintoret s'éteindra, entouré de sa famille et de ses amis, en 1594. Le palazzino est situé non loin du très beau palazzo dei camelli dont je vous reparlerai et juste à côté des fameux mori, ces statues encastrées dans le mur voisin sur l'origine et l'histoire desquels personne n'est d'accord.Photo de © Jas - Le Campiello - Tous Droits Réservés

photo de © Barocco - Le Campiello. Tous Droits Réservés

Les Noces de Canaa de Veronese, 210 ans après : enfin le retour

En septembre prochain, à l'occasion de l'ouverture des Dialogues de San Giorgio, colloque annuel organisé par la Fondation Cini et consacré en 2007 au thème "Hériter du passé : Traditions, Translations, Trahisons, Innovations à Venise", un évènement extraordinaire et d'une portée majeure est annoncé: En collaboration avec le Louvre, qui concerne Les Noces de Canaa - conservée à Paris - oeuvre majeure de Paolo Veronèse qu'il réalisa à la demande de Palladio pour le réfectoire du monastère bénédictin, devenu le siège de la Fondation.
 
Après 210 ans d'absence, les Noces de Canaa vont retrouver leur emplacement original dans le magnifique bâtiment construit par Palladio dans l'île de San Giorgio Maggiore grâce à un véritable "second original", en fait un fac-similé à l'échelle 1:1, qui a pu être réalisé grâce à une technique de reproduction très sophistiquée encore jamais utilisée pour une oeuvre de cette taille. Tous les éléments de l'original sont ainsi reconstitués, non seulement les traits, les contours dessinés, les traces de pinceau, les ajouts de couleurs, les aplats de base, jusqu'aux imperfections de la toile et les traces d'usure du temps. Mais en plus, il sera possible de voir tout ce que les aménagements iconoclastes des premières années du XXe siècle avaient camouflé.

Le fac-similé est réalisé avec la technologie développée par Adam Lowe, artiste britannique et fondateur de l'Atelier Factum Arte, laboratoire à l'avant-garde de la reconstruction et de la reproduction des oeuvres d'art.

Ce projet, commente avec emphase le communiqué de presse, représente un véritable défi à la théorie de la décadence de l'aura : en créant une copie physiquement et esthétiquement parfaite de l'original, et en la replaçant dans le lieu exact pour lequel cet original a été conçu “en concordance totale" entre Veronese et Palladio, il s'agit pour les commanditaires d'une intervention de restauration globale du site monumental de San Giorgio Maggiore. Cette opération remplit un objectif spécifique qui est de rétablir l'équilibre esthétique originel en vertu duquel le prodige artistique réalisé par le tandem Palladio-Veronese devient pleinement compréhensible. 
 
Cet évènement extraordinaire et unique à ce jour veut permettre paradoxalement de nous rapprocher de l'aura authentique du lieu, qui avait été irrémédiablement perdue le 11 septembre 1797, quand les commissaires français de l'armée du pilleur corse Buonaparte décidèrent d'inclure ce tableau dans les oeuvres à envoyer à Paris comme butin de guerre. 
 
210 ans après, le 11 septembre 2007, le fac-similé des Noces de Canaa, réinstallé définitivement dans le Cénacle Palladien, sera révélé au public lors de l'inauguration de l'exposition "Le miracle de Canaa : l'originalité de la re-production".

Le projet, en collaboration avec le Musée du Louvre a pu voir le jour grâce au soutien de l'Enel, San Pellegrino, du Consorzio Venezia Nuova, de la Fondazione Banco di Sicilia, et du Casino de Venise. Tramezzinimag y sera et nous ne manquerons pas de détailler l'évènement.

Promenade en dialecte

Avant la chute de la République, si l’italien était la langue officielle, verniculaire, le vénitien était parlé par tous, du gondolier au doge. Plus qu’un dialecte, c’est une véritable langue dont l’origine est inconnue. On y retrouve des consonances indo-européennes, des ressemblances avec le basque. On parle aujourd’hui de "dialecte", bien que le vénitien soit classé parmi les langues régionales et qu’il y ait dans le monde entier des associations où on le parle comme le moyen de maintenir une cohésion ethnico-sociale. Tout en me méfiant des risques de récupération à des fins parfois troubles de tout ce qui peut marquer une différence et faire ainsi le jeu de ce communautarisme que je trouve extrêmement dangereux, il est merveilleux de voir combien ce langage est un ciment social pour les vénitiens : Toutes les couches de la société, toutes les générations le parlent. 
 
C'est vrai qu'il existe dans le Veneto des groupuscules autonomistes très vindicatifs qui utilisent la langue vénète (il y a de nombreuses variantes dans tout l’arrière-pays vénitien) dans un but pas très avouable. La promotion qu'ils en font est truffée d'arrières-pensées dangereuses pour l’unité nationale dont la naissance fut pourtant vécue dans l'euphorie et l'enthousiasme par les vénitiens du XIXe... en dialecte ! 
 
Mais là n’est pas mon propos. Ce dialecte que nous parlons à Venise est une langue très imagée, très riche en expressions, qu’il est utile de connaître si on veut à Venise vivre en bon vénitien. Les anglo-saxons beaucoup plus en avance que nous et il existe depuis de nombreuses années un dictionnaire anglais-vénitien. Il n’existe pas encore à ma connaissance de lexique vénitien-français. J’y songe mais le temps manque pour mener à bien l’entreprise et produire un véritable dictionnaire comme l’aurait souhaité l’éditeur Filippi, récemment disparu. Voici quelques "parolacce" qui feront de vous un vrai vénitien. Et puis, si elles vous sont adressées, vous saurez ce que votre interlocuteur aura voulu exprimer et ne risquerez plus de vous méprendre (désolé pour vos illusions !).
« Oii ! ».Tout le monde l’utilise à Venise. Depuis le gondolier qui lance ce cri à l’angle d’un canal pour signaler sa présence (la variante est "Aooe !") à la personne qui veut vous faire une farce, saluer un ami croisé dans une calle ou quelqu’un qui s’énerve. Aucune traduction de cette onomatopée ne s’impose.

« Mongoeo ».
Littéralement "mongolien". On dit parfois que l’expression date de l’époque de Marco Polo quand on parlait pour la première fois de ces peuplades de Mongolie très différentes des vénitiens. Mais cette explication me paraît fumeuse… Vous l’entendrez au même titre que le fameux "deficiente" italien prononcé par quelqu’un en colère, hors de lui.

« Ma no ti gà na casa cio ?! »Phrase très utilisée à Venise où le problème de l’habitat est récurrent depuis plus de cent ans. Littéralement "Mais tu n’as pas de maison où aller ?". Ce "tu es à la rue ou quoi ?" sert à exprimer la désapprobation, la surprise quand l’autre ne comprend pas ce qu’on attend de lui, quand un chaland ne veut pas payer le prix proposé par le marchand ou semble étonné de la somme demandée. On l’entend aujourd’hui dans les stades quand il s’agit de tancer les supporteurs de l’équipe adverse…

« Ti xè forà come un balcon ».
"Tu es dehors comme un balcon" pour signifier que vous n’avez pas tous vos esprits, que ce vous exprimez est absurde et ridicule. On pourrait traduire par "Ou as-tu la tête" mais selon le contexte, d’autres significations apparaissent.

Revenons aux injures et autres imprécations dont les vénitiens sont friands. Pas un jour sans qu’une altercation anime le trafic sur le grand canal devant le marché, à la gare ou dans la foule des environs de la Piazza. Certains trouvent vulgaires ces expressions. Elles font partie du paysage sonore de la ville, au même titre que les cloches des églises, le clapotis de l’eau des canaux, la sirène des ambulances ou des pompiers.

« Chei cani dei to morti ».
Avec ses variantes : "I to morti" (la forme la plus simple et directe), "Varemengo ti ta morti" (sophistiqué), "Va in boca de tuti i to morti" (la plus violente). Expression assez redoutable qu’on pourrait traduire par "au diable les tiens", "famille de moins que rien". Mais le sens demeure bien plus dur et définitif en vénitien.

« Va in cùeo da to mare ».Parole des plus répandue, certainement la plus utilisée, qui se rapproche du "nique ta mère" de nos banlieues et des cours de collège. Version plus simple : "Va in cùeo" équivalent du "va te faire voir" (traduction expurgée pour les oreilles chastes !).

« Casso ».Très répandu aussi chez les jeunes, les gondoliers et tout le petit peuple des tavernes depuis toujours. Littéralement "bite", équivalent de notre "couillon" ou "merde". A la fin d’une phrase, l’expression sert à renforcer ce qui a été dit. A Bègles, près de Bordeaux on rajoute (avec l’accent) un "cong" significatif. C'est en plus grossier le "peuchère" des marseillais. Les titis parisiens diront "putain".

« Col casso ».Là le même mot aura un autre sens, il est plus interrogatif, dubitatif "non, c’est pas vrai", "j’y crois pas", "tu es sérieux ?" mettant en doute les surprenantes allégations de votre interlocuteur. cela peut aussi signifiait un "t'es pas cap" de mise au défi. Toujours très employé.

27 mai 2007

Tintoret, le favori de la nature

C’est ainsi que l’appelait Andrea Calmo, fils de teinturier lui aussi, écrivain et poète, devenu l’un des plus grands comédiens de Venise jusqu’à sa mort en 1571. Sa lettre, pleine d’humour date de 1547. Elle présente le peintre sous un jour bien différent des portraits habituels comme celui que se plut à décrire Sartre dans le "Séquestré de Venise", excellent essai au demeurant qui donne la mesure de ce qu’aurait pu être un roman sur le sujet, mais qui a pris le parti d'un Tintoret veule, intéressé, prisonnier de l'opinion des autres et somme toute âme bien médiocre. La réalité s'avère toute autre et le peintre, une grande et attachante personnalité.

«Tel un grain de poivre qui recouvre, assomme et vaut l’arôme de dix bottes de pavots, c’est ainsi que vous êtes, vous qui êtes du même sang que les Muses. Bien que né depuis peu, vous êtes pourvu de beaucoup d’esprit et d’intelligence ; votre barbe est peu fournie mais votre tête est bien pleine ; votre corps est petit mais votre cœur est grand, bien que jeune en âge vous êtes mûr en sagesse ; et dans le peu de temps où vous avez été apprenti, vous avez appris davantage que cent qui sont nés maîtres…» 
 
Jacopo Robusti a 28 ans. Andrea Calmo en a presque quarante. Avec nombre d’intellectuels vénitiens (comme Ludovico Dolce, Francesco Sansovino et Girolamo Ruscelli) il avait fondé le groupe des poligrafi (polygraphes), un courant de pensée qui voulait imposer un style moderne d’écriture un peu comme au XXe siècles les adeptes du Nouveau Roman… Carmo survivra à son ami et ne tarira jamais d’éloges sur les compétences artistiques mais aussi sur les qualités humaines du peintre. Tintoret qui, comme le souligne le comédien, est un travailleur acharné, fera pour son ami de nombreux décors, des constructions éphémères pour ses spectacles. Autant de trésors irrémédiablement perdus dont on ne conserve que quelques bribes, des croquis, des descriptions. 
 
Il est difficile pour nous qui ne sommes pas de savants historiens d’art, d’imaginer que le travail du Tintoret ait pu être considéré comme moderne. Innovant. Il est vieux pour nous de quatre siècles, mais avez-vous déjà réfléchi à cette idée : cette peinture qui est pour nous aujourd’hui un trésor classique, chef d’œuvre appartenant à la culture commune de notre humanité, a été un jour une création contemporaine, une oeuvre totalement innovante... Contemplée pour la première fois par les vénitiens ces toiles si célèbres aujourd’hui ont pu choquer, déplaire mais aussi plaire jusqu'au délire, emballer les regards ouverts et branchés de l’époque. C’est exactement ce que décrit Andrea Calmo dans sa fameuse lettre :  
«... Parmi ceux qui chevauchent le Pégase de l’art moderne, il n’en est pas de plus habile que vous dans la représentation des gestes, attitudes, poses majestueuses, raccourcis, profils, ombres, lointains, perspectives. On peut bien dire, en somme, que si vous aviez autant de mains que de qualités de cœur et d’esprit, il n’y aurait pas de chose que vous ne puissiez faire, aussi difficile fut-elle. Vous m’êtes bien cher, oh mon frère, je le jure par le sang des moustiques, car vous êtes ennemi de la paresse : vous passez votre vie partagé entre l’accroissement de votre gloire, la restauration de vos forces physiques et l’édification de votre esprit. Cela s’appelle travailler pour en tirer bénéfice et gloire,manger pour vivre et ne pas dépérir, et faire de la musique et chanter pour ne pas devenir fou comme certains qui s’adonnent tant à leur art qu’ils en perdent d’un coup la raison et leur tête…».
Où est-il le "Séquestré" inquiet dont parle Sartre ? Cet homme plein de talents débordant de vie, allait vite. Trop vite pour certains, depuis le divin Arétin qui pourtant n’eut pas à se plaindre de la vélocité et du talent du Tintoret, puisqu’il lui commanda la décoration des parois et des plafonds de son palais du Rialto ; trop vite depuis les commentaires de Vasari qui ne comprenait pas toujours tout, engoncé par les préjugés communs aux hommes de son époque. Mais cette vivacité plaisait à Rubens, à Rembrandt comme elle plaira plus tard à Fragonard, à Delacroix, à Manet, à Cézanne, à Nicolas de Staël aussi.C’est un homme moderne, ouvert, impétueux et déterminé. Il aime lire les philosophes autant que les auteurs satiriques. Il fait de la musique, sait chanter et écrire. Il composa quelques dialogues comiques pour ses amis de la compagnie de la Calza, cette troupe de comédiens amateurs tous patriciens ou riches marchands qui s’organisèrent très tôt en compagnies et qu’on reconnaissait à leur tenue - des sortes de pantalons (les calze) rayés ou faits de pièces multicolores comme la tenue d’Arlequin .
 
Car peut-être ne le saviez-vous pas, mais en homme de son temps, le fils du teinturier est très cultivé. Dans sa lettre, Andrea confirme la grande sensibilité de Robusti,son goût démesuré pour la musique et son oreille. C’est la grande époque de la musique à Venise. Nombreux sont les salons où on se retrouve pour jouer entre amis. Chaque église, chaque confrérie a son orchestre, son chœur et si les murs de Venise sont couverts d’œuvres d’art, on a l’impression on vient de partout entendre certains interprètes (Heinrich Schütz qui séjourna à Venise, Mosto, Merulo, et tant d'autres créateurs de l'effervescente Venise de ces années-là) donner des créations radieuses et innovantes, qui vont marquer l’humanité entière et dont ne connaît malheureusement que certains exemples. Tant de pièces qui n'ont pas été imprimées sont certainement encore en train de dormir dans des rayons ignorés des bibliothèques de certains vieux palais du grand canal...

Le peintre était avant tout vénitien. Et comme tout vénitien, il était ce mélange de raffinement, de grâce et d’épaisseur (car on ne peut jamais de parler de lourdeur quand on s’intéresse aux qualités artistiques des vénitiens). Dans un texte fort bien documenté qui part de la lettre de Calmo, Lionel Dax, que je salue au passage, explique combien le c'était un homme de la Renaissance : Outre la sensibilité artistique très aiguisée dont je parlais plus haut, il souligne combien le peintre menait une "vita sobria", à l’instar des idées humanistes, comme l'exprima dans ses écrits, le philosophe vénitien Alvise Cornaro, que fréquenta le peintre et dont il fit un portrait conservé aujourd’hui au Palais Pitti à Florence. Cette vie saine et tempérée n’avait rien à voir avec une ascèse dictée par une morale étroite ou desdogmes spitituels imposés. Il s’agissait bien plutôt de l’état d’esprit d’une homme sain qui avait su retrouver avec naturel les préceptes de la sagesse antique.

Comme les meilleurs de son époque, il vécut pleinement la rupture avec les temps sombres qui succédèrent aux invasions et avaient étouffé sous l’anarchie des mœurs puis ensuite sous l’inepte rigorisme imposé par un clergé inculte, les pensées et les théories les plus raffinées jamais invenétes par les hommes. Lionel Dax cite quelques passages des écrits de Cornaro, publiés en 1558 :  
«Si le monde se conserve par l’ordre, et si notre vie n’est autre chose, relativement au corps, que l’harmonie et l’ordre de quatre éléments, notre vie doit se maintenir et se conserver par ce même ordre, et au contraire s’altérer et se dissoudre par l’action inverse de la maladie et de la mort. L’ordre n’a-t-il pas une puissance admirable».
Ce Tintoret que Sartre nous dépeint comme un homme sans cesse aux aguets, épiant ses concurrents, cherchant chaque jour à déjouer les complots, amassant les rancoeurs comme un parvenu qui n’est jamais assez sûr de son assise et qui, tout en méprisant sa fortune tuerait pour ne pas la perdre. C’étaitun homme de son époque, il faut le redire. Et un homme plaisant. Ami des philosophes et des penseurs, il l’était aussi des compositeurs et des musiciens. Il jouait lui-même de plusieurs instruments dont le luth, très en vogue au XVIe siècle à Venise. Il fréquenta Gabrieli qui était organiste de San Marco, Zarlino le compositeur était un des ses meilleurs amis, Capirola, Dalza, Spinacino, Giovanni Maria di Crema fréquentèrent la maison du peintre. Sa fille Marietta, surnommée la Tintoretta prit des leçons avec Zacchino qui était un organiste réputé. Le propre frère du peintre, Domenico Robusti était musicien officiel à la cour du Duc de Mantoue. La musique est au centre de la vie comme de la pensée du peintre et il est étrange que personne n’ait jamais relevé cette dimension fondamentale de son travail comme le souligne Lionel Dax.
 
Peintre de génie, musicien, lettré, il fréquenta tout ce que Venise comptait de grands et beaux esprits. Ce qui est fascinant lorsqu’on lit la liste de ses fréquentations vénitiennes, c’est que pas un de ces artistes et de ces intellectuels qui n’ait franchi les siècles pour nous apparaître comme des grands dont on s’inspire encore et qui ne tomberont jamais dans l’oubli : Sansovino l’architecte, Le Cardinal Bembo, le prolixe écrivain Pietro Bacci surnommé l’Arétin, Gabrieli le compositeur…

Je sais qu’il ne faut pas faire long sur internet, mais je ne résiste pas au plaisir de vous présenter ce texte de Cornaro que cite Lionel Dax dans son travail sur Tintoret que je rejoins totalement. En voici des extraits qui à eux seuls expriment la raison du bonheur qu’il y a à vivre à Venise. XVIe ou XXIe siècle, l’idée est la même et le plaisir aussi doux :
«… Je passe mon temps sans dégoût, parce que je trouve à en occuper toutes les heures avec plaisir. Ainsi, j’ai souvent occasion de causer avec nombre de gens distingués par l’esprit, les mœurs, les goûts des lettres, ou par un talent supérieur. Si leur conversation me manque, je lis quelque bel ouvrage. Ai-je lu suffisamment, j’écris… Tous mes sens, Dieu merci, sont excellents, et spécialement le goût… Partout je dors du sommeil le plus doux et le plus paisible, sans éprouver la moindre agitation ; aussi mes nuits sont-elles embellies de songes agréables… Enfant de Venise, je lui dois tout l’amour… La sobriété purifie les sens ; elle donne légèreté au corps, vivacité à l’intelligence, ténacité à la mémoire, souplesse aux mouvements, promptitude et régularité à l’action. Par elle, l’âme, comme déchargée de son fardeau terrestre, jouit de la plénitude de la liberté : les esprits se meuvent paisiblement dans les artères ; le sang court dans les veines ; la chaleur, tempérée et douce, produit de doux et tempérés effets, et finalement ces éléments de notre corps conservent avec un ordre admirable une heureuse et bienfaisante harmonie.»
Ces propos semblent bien adaptés à la personnalité du peintre et lorsque vous regarderez ses toiles la prochaine fois, pensez à ces lignes du philosophe vénitien. Cet homme génial est loin d’avoir l’humeur sombre. Ce n’est pas non plus un artiste maudit obligé de fréquenter bas-fonds ni d’être confronté à la souffrance pour bâtir une œuvre gigantesque. Père de famille attentif, bon ami, le Tintoret trouve dans la musique et dans le chant cet équilibre que certains appellent un supplément d’âme. L’artiste est honnête homme même à l’aulne de son rapport à l’argent et à la concurrence. Le Tintoret, une sorte de libéral de la Renaissance mâtiné d’un esthète et d’un ravi ? Voilà bien là le portrait type du vénitien de la grande époque ! L’homme de la Renaissance. Quelle joie il y a à regarder le Tintoret et ses concitoyens sous cet angle que renforceront en les amollissant certes un peu les mœurs du XVIIIe siècle. Voilà la bonne image de Venise : la joie, la connaissance, la sérénité, la force, l’âme et l’esprit, la couleur et la musique... C'est tout cela Venise et l'âme de Venise !
 
 

1 commentaire :

Gérard a dit...

Bravo à vous , et merci pour ce post absolument magnifique , que je recommande à nombre d'entre tous les lecteurs . Vraiment superbe ! Quelle leçon ! Effectivement , l'exposition du Louvre , l'année dernière , sur l'esquisse du " Paradis" , m'a fait découvrir un Robusti lumineux , spatial , cosmique . Ses dessins michelangelesques , leurs contorsions laocooniennes , les fusains rampants . Et aussi une action colorée , élégante mais surtout héliotropique , rugissant sur une palette et sa trame énergétique . Que retint-il , ce descendant d'Alexandrie ? Le pinceau d'Apelle ou les marbres de Praxitèle ? Leur poésie antique ? Mystère ! Quelle force ! Surtout celle que retiennent toutes ces vieilles villes endormies . Si chères à nos cœurs . Envoyé 

le 30 mai, 2007

26 mai 2007

Quando piove...

L’enfant distrait regardait par la fenêtre la pluie tomber. Il suivait des yeux les gouttes qui s’écrasaient sur la vitre. Le bruit de l’eau coulant le long des croisées. Tout l’emportait vers un ailleurs paisible et tendre. Comme une mélodie lente et suave qu’un violoncelle quelque part égrènerait. Il était seul. Dehors, l'eau du canal s'était faite noire, le ciel d'abord d'un jaune délavé passait du blanc au gris. Des éclairs au loin illuminaient l'horizon qu'on devinait derrière la façade du vieux palais, de l'autre côté. Sur l'autre rive. L'enfant était soudain au milieu des éléments déchaînés, loin en pleine mer, abandonné sur un navire aux mâts arrachés, aux voiles déchirées. De terribles pirates le poursuivaient. Le crayon à la bouche, l'enfant regardait par la fenêtre la pluie tomber. La page du cahier de français restait blanche. Un jour d'averse à Venise, rempli d'angoisse et de solitude[...]
Écrit un jour de pluie, à la mémoire de N.H. Jacopo F.
Posted by Picasa

25 mai 2007

Aimez-vous Tintoret ?

Artiste prolixe et somptueux, Jacoppo Robusti dit le Tintoret est souvent mal perçu, mal connu. La plupart des historiens de l'art et les critiques lui préfèrent Titien ou Véronèse. Pourquoi cet ostrascisme ? Serait-il ce peintre tourmenté que les exégètes ont bien voulu nous vendre depuis des générations ? Le reclus, le travailleur acharné, le "Séquestré de Venise" dont Sartre. a presque tiré un sujet de roman... Pourquoi le rire, le jeu, la musique et la passion de peindre ne seraient-ils pas compatibles ? Aujourd'hui, ses œuvres n'intéressent pas grand monde. Il semble que le jugement initial de Vasari, celui d'en faire un peintre frivole et incomplet soit encore de rigueur. "Vous êtes trop rapide" Lui disait l'Arétin dont il décora le palais et peint le portrait. Un peu comme l'Empereur d'Autriche trouvait qu'il y avait trop de notes dans la musique de Mozart. Mais nous allons reparler de ce vénitien pur sang. Il est passionnant et son oeuvre simplement géniale. A l'égal de celle de Michel-Ange dont il s'inspira.

1 commentaire:

Gérard a dit…
Pierre Boulez - grand Maître s'il en est un - écrivit un livre sur Igor Stravinsky , précisant les détails du " Sacre " avec des formules de ce type :
" Ici , il a voulu dire ceci ; là , il a voulu dire .... , etc , ... "
La réponse vint de Stravinsky lui-même , et cette fois dite de vive voix à Michel Legrand :
" Mon p'tit , quand on est un grand créateur , on ne sait jamais ce que l'on fait !
Laissons aller ! "
Quelle véracité , cette réponse magique du prince Igor !
C'était hier matin , Radio-Classique , 3 heures d'interview exceptionnelle du fabuleux Michel Legrand , élève de l'intraitable et parfois très cruelle Nadia Boulanger .
Reich disait que la musique et la peinture sauvaient l'Homme .
C'est vrai .
Tintoret , le grand inspiré irradiant , d'une certaine façon , un peu comme Igor Stravinsky , possède encore aujourd'hui , et à l'égal de ces si grands autres Vénitiens , cette forme d'Immortalité qui vient nous sauver .
Cherchons ce Paradis !
Trouvons ce Paradis !
Là-bas , à Venise !
Et pourtant , mon chagrin est sans fond .
Sans fond !

24 mai 2007

Ça vous dirait de devenir propriétaire d'une île sur la Lagune ?

Non, vous ne rêvez pas - ou plutôt si, vous pouvez rêver car cela fait envie -, une agence immobilière vend en ce moment une île des environs de Venise. 
 
D'une superficie de 9800 m², protégée des hautes marées par un grand mur, avec un ponton privé et des bâtiments (en ruine), c'est un petit paradis garanti. A condition d'avoir de sérieux moyens : le prix de vente est fixé à 3.200.000 €.

Quant aux travaux de rénovation et de restructuration, n'en parlons pas. Ce sera certainement une résidence hôtelière de luxe à moins qu'un milliardaire russe n'ait l'idée d'en faire son palais des mille et une nuits à grand renfort de dollars...

Je suis allé visiter, c'est impressionnant et terriblement tentant mais je ne crois pas que mon banquier se laisserait tenter lui...
 
Si vous voulez de plus amples informations, n'hésitez-pas à m'écrire, je vous donnerez toutes les informations. Ma commission est négociable !

22 mai 2007

Un grand monsieur

Dimanche, en rangeant quelques livres de ma bibliothèque, j'ai retrouvé un carnet égaré depuis longtemps, daté de 1985. Plein des souvenirs de ces années phares où Venise était mon quotidien, j'y avais noté ma rencontre avec Hugo Pratt. A la demande du journal Sud Ouest, j'avais passé plusieurs heures avec lui.
.
L'article fut un de mes premiers vrais grands papiers dans le quotidien bordelais. J'avais oublié de nombreux détails qui me ramènent plus de vingt ans en arrière... Hugo Pratt s'exprimait dans un français excellent, avec un accent sympathique. Sa voix était chaude, ses manières amples et généreuses. Nous nous étions donné rendez-vous dans un bureau de la Bevilacqua La Masa, sur la Piazza, au-dessus de la galerie où il exposait. Utilisant un de ces petits magnétophones à cassettes en vogue à l'époque j'avais deux heures d'enregistrement qui doivent dormir quelque part. 
"Ma génération n'apprenait que le français à l'école, m'expliqua-t-il quand je m'étonnais de la facilité avec laquelle il s'exprimait, "Avec l'italien et les langues mortes, on n'enseignait que le français. J'ai appris l'histoire de France, la littérature française, la poésie. L'empreinte de cette culture est très forte en moi, même si le souvenir de ce que Napoléon et ses maréchaux ont fait à Venise n'est pas à l'avantage de la France. Combien je l'ai détesté quand j'étais enfant !"
 
Je me souviens de son éclat de rire en me disant cela.

"Ce qu'il y avait de bien, c'est que notre enseignement nous montrait autre chose que la voix officielle française. ainsi, par exemple, j'ai découvert qu'Henry de Monfreid était un grand bonhomme. Souvent en France on dit que c'était un minable. En fait c'était un grand journaliste, un vrai reporter. Son voyage avec Teilhard de Chardin est un monument dont j'ai illustré quelques pages.. Si Henry de Monfreid et Teilhard de Chardin se retrouvaient sur le même bateau que Corto Maltese et Raspoutine, ils auraient beaucoup de choses à se dire. Ils seraient en famille !"
L'entretien avait difficilement commencé. J'étais intimidé, hésitant, maladroit. Il s'impatientait. Puis le courant a fini par passer et une fois lancé, plus rien ne semblait pouvoir l'arrêter. Ce fut passionnant. A plusieurs reprises la porte s'était ouverte, l'attachée de presse rappelait les autre rendez-vous. d'autres journalistes piaffaient dans l'entrée. Il la renvoyait avec un sourire : "Je parle de la France, ils peuvent attendre" me dit-il, royal. 
Je l'interrogeais sur la France : "J'ai des amis français mais je connais encore mal la France. Je suis allé en Normandie pour voir la tapisserie de Bayeux. C'est une œuvre importante pour un dessinateur de BD, une sorte d'ancêtre spirituel."

"L'amitié, les amis", des mots qu'Hugo Pratt employa souvent tout au long de cette interview, comme pour souligner combien cela lui paraissait fondamental, constitutif de la vie même. "Je suis très attentif aux autres. Parce que c'est vital pour mon boulot bien sur, mais c'est parce que je suis incapable de vivre sans mon coeur et les amis c'est dans le coeur qu'ils ont leur place. Pas dans la tête"...
 
"Quelque soit la force de nos passions, l'emprise de nos actions, notre métier, il faut avoir du temps pour les amis et la famille. j'ai des enfants dont personne jamais ne me parle"
"Alors, parlez-moi d'eux !" lui avais -je répondu.

"Puisque vous m'en donnez l'occasion : J'ai un fils qui est grand maintenant mais quand il était petit, il n'aimait pas du tout ce que je faisais. Il préférait Rahan. C'était un peu difficile pour moi. Maintenant il apprécie ce que je fais. Quant à mes filles, une seule dessine. C'est Silvana, la dernière. Elle fait des dessins de mode. Elle se débrouille bien. Les autres ont comme on dit dans "les affaires". Elle seule a pris un peu de l'esprit de son père".
"Un esprit d'aventure ?" demandai-je.
" Vous savez dans un pays catholique comme l'Italie, l'aventure ce n'est pas une chose bien vue. C'est le droit chemin commun qu'on vous apprend à suivre. L'aventure, c'est resté longtemps une chose peu convenable".
"Est ce que cela a changé ?" lui dis-je en essayant de faire le plus professionnel possible.

 
" L’Église c'est évident ne joue plus le même rôle. Mais si on écoute le PCI par exemple, le mot aventure reste mal noté, dangereux. Il n'y a guère de place dans le matérialisme historique pour cet individualisme-là non plus... Rimbaud aujourd'hui on ne pourrait pas l'encadrer. C'est plutôt minable. Tolérer l'aventure, l'encourager, c'est tolérer, encourager la liberté"... 
Suivirent de nombreux autre échanges tous aussi passionnants. Mais il fallut prendre congé. Voilà ce que je lis dans mes notes de janvier 85 : "Hugo Pratt me raccompagne jusqu'au milieu de la Piazza. J'ai passé deux heures avec lui et nous étions dans un autre univers, loin de la foule qui se pressait pour visiter l'exposition, loin des cloches de San Marco et des pigeons qu'elles font fuir en sonnant. peut-être avions-nous franchis, sans bouger de ce petit bureau de la Bevilacqua, un de ces lieux magiques et secrets où les vénitiens qui sont fatigué des contraintes et de l'autorité se retrouvent comme dans d'autres histoires"...
 
Quelques mois plus tôt, des amies parties pour l'été m'avaient laissé leur petite maison de Malamocco, située juste à côté de chez Hugo Pratt et j'espérais chaque jour le croiser et pouvoir lui parler. Mais il était cet été là en Amérique du Sud. Le hasard d'une commande de mon rédacteur en chef (à l'époque Pierre Veilletet) m'a permis cette rencontre. Une des plus marquantes de toute ma vie vénitienne. Il y eut Olga Rudge grâce à Dachine Rainer (elle aussi passionnant personnage dont j'ai déjà parlé sur ce blog), Arbit Blatas et Regina Reznik, Rostropovitch, Maurice Béjart, Ivo Pogorelitch, Hervé Guibert, et tellement d'autres.
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2 commentaires:

Delphine R2M a dit…
Quelle rencontre merveilleuse cela a du être!
Lorenzo a dit…
Oui en effet. Un personnage. En partant, il me donna le catalogue de l'exposition que j'ai toujours. Il avait simplement dessiné sur la page de garde à côté d'un mot amical et de sa signature, une petite mouette...

Le canal au bout de la calle Navarro

J'habitais au dernier étage d'une vieille maison de brique, calle Navarro, au bout de la ruelle, ce petit canal et de l'autre côté, la maison du peinte Bacci-Baïk, de son épouse Denise et de leur fils qui a repris la galerie de son père. Denise, comme toutes les anglaises avait la passion des plantes et elle passait son temps à faire de nouvelles plantations. Sur la gauche, du côté du canal où je vivais, il y a le petit campo où Bobbo Ferruzzi et sa femme Hélène ont leur maison, juste avant le chemin qui mène aux Zattere...

18 mai 2007

Les yeux épris du ciel...


"Je veux rester ici sans penser : je veux vivre.
Les yeux épris du ciel n'ont pas besoin de livre.
L'automne de Venise épargné du soleil,
Sera ma rêverie et mon repos vermeil..."

Albert Mérat, les villes de marbre

17 mai 2007

Le bleu sied bien à Venise vous ne trouvez pas ?


Surtout quand l'été peine à se frayer un chemin... 
Dire qu'un jour ces palli de bois seront en résine...

15 mai 2007

Les plus belles vues de Venise

Je viens de découvrir un article élégant publié par Marie-Odile Beauvais, ravissante jeune écrivain de talent, dans le magazine Marianne que j'avoue n'avoir jamais feuilleté mais qui étant cité dans notre revue de presse sur Venise méritait qu'on y jette un coup d’œil. Rappelant les envolées lyriques des journalistes mondains du New York Times ou du New Yorker, lorsqu'ils parlent de Venise ou de Paris, l'envoyée du journal de J.-F. Kahn (dont a vu récemment qu'il était capable de publier le pire...), cet article sur les meilleures vues d’hôtel de la cité des doges présente aussi quelques adresses gastronomiques intéressantes comme le Met, le restaurant de l'Albergo Metropole récemment coté par le Guide Michelin et investi à la fois pas les membres de l'Academia italiana della Cucina et les adeptes du mouvement Slow Food. Je vous invite à lire cet article comme je vous recommande l'excellent "Proust vous écrira" (Melville Editeur) que Marie-Odile Beauvais a publié en 2005.