28 décembre 2013

"Migrants Matter" : à Venise, une lutte étudiante pour la dignité

Journée internationale des migrants, 18 décembre 2013 | Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it
Aujourd’hui comme demain, les États européens seront confrontés aux défis des migrations. Guri Storaas, étudiante en master de Droits de l’Homme et Démocratisation à Venise, mais également fondatrice du mouvement  "Migrants Matter" a accepté de partager son combat, sa lueur d’espoir sur des problématiques souvent mal comprises et amalgamées. 

Stéphane Hessel, dans son manifeste « Indignez-vous !  » conseille aux jeunes de regarder autour d’eux, pour qu’ils y trouvent les thèmes qui justifient l’indignation - le traitement fait aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms. Il poursuit en leur suggérant de faire émerger cette indignation :
«Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte
Après plusieurs actions au sein même de leur master, quelques étudiants en Droit de l’Homme et Démocratisation de l'Université Ca'Foscari de Venise ont décidé de se lever pour briser ce cercle de l’indifférence en cette période de Noël. 
 
Guri Storaas, fondatrice du mouvement Migrants Matter, a accepté de nous révéler sa lueur d’espoir. En cette fin d’année 2013, elle a choisi la solidarité aux immigrés. Au cours de plusieurs réunions depuis début octobre 2013, une chanson a été reprise avec passion par plusieurs représentants européens lors des Europeans Development Days à Bruxelles. Le coup final de cette campagne de sensibilisation a été la marche silencieuse en cette fin décembre. Avec un seul espoir que les migrants aussi puissent vivre dans la dignité. Les Églises chrétiennes, les communautés musulmanes, juives, bouddhistes ont manifesté leur entière solidarité.

Journal International : Quel est le but d’une campagne de sensibilisation et pourquoi l’avoir dirigée en faveur des migrants ?

Guri Storaas : Cette mission de sensibilisation permet avant tout de regrouper des personnes engagées, afin de changer les politiques à travers différents moyens et afin de faire évoluer les conditions auxquelles peuvent être confrontées certaines personnes exclues de la société. Elle se concentre sur le secteur européen notamment, car les migrants sont certainement les cibles les plus faciles pour les États. Ils subissent les politiques imposées et injustes déniant les difficultés auxquelles ces hommes, ces femmes et ces enfants font face chaque jour. Ceux qui n’agissent pas en ayant pleinement conscience des discriminations subies soutiennent au fond indirectement les violations récurrentes transgressant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.

JI : Justement, votre campagne se dirige en faveur d’un certain groupe de migrants puisqu’elle vise à la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990, pourquoi avoir ciblé cette forme particulière d’immigration ?

Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it
G.S. : Tout d’abord, il faut savoir que cette convention est la seule qui internationalement a été créée pour les migrants ainsi ce n’est pas un thème réducteur que nous avons choisi, mais un texte d’appui officiel qui nous permet d’agir activement sur différentes formes d’immigration. Il est également vrai que le travail est une chose qui affecte particulièrement les étrangers, les rendant plus vulnérables que les autres, car bien souvent les familles se retrouvent séparées. De plus, les migrants sont loin d’être privilégiés. Ainsi, ils subissent un traitement excessivement injuste généralement les renfermant sur eux-mêmes. Aucun texte ne définit véritablement leur statut ni ne reconnait leur existence même. Souvent rejetés, seuls, les expulsions de plus en plus nombreuses planifiées dans les pays européens sont la preuve qu’aucune garantie de protection n’a été encore appliquée, voire établie. Ce que nous souhaitons, c’est porter un message au nom de tous les immigrés et en appuyant le projet de cette convention qui est loin de faire l’unanimité jusqu’à présent. Nous pourrions enfin nous assurer que les États aient à rendre des comptes sur les politiques mises en place, qu’ils aient enfin une responsabilité officielle lorsque ces personnes immigrant sur leurs terres se voient maltraitées.

JI : Pourquoi, selon vous, de nombreux états sont-ils septiques à l’idée de ratifier cette Convention et en quoi pensez-vous que votre mouvement puisse les aider à changer d’avis ?

G.S. : Lorsque les Nations Unies ont proposé ce traité, il n’a pas été très bien accueilli. Il a été adopté en 1990 et 13 ans après, en 2003, il a pu enfin entrer en vigueur, mais seulement grâce à 20 états signataires, ce qui est bien trop peu ! Cette Convention a le potentiel de promouvoir, au moins indirectement, le droit des immigrés, pour que leur protection soit garantie par la loi même. Malheureusement, même si elle a été acceptée légalement, elle n’est que trop peu mise en pratique. 
 Selon moi, les États refusent de coopérer, car la définition donnée à l’immigration ici est bien trop large et malheureusement, de nos jours, c’est une notion qui fait peur et qui doit être plus précise pour qu’on puisse l’accepter. Je suis persuadée que c’est notamment la peur qui paralyse les États jouant sur l’aspect de sécurité en l’opposant directement à l’immigration. Les stéréotypes que l’on entend chaque jour, particulièrement depuis la crise de 2008, sous-entendant que "plus les immigrés arrivent, plus les taxes pour la population seront importantes", que l’économie soit disant "s’écroulerait si nous accueillions trop d’étrangers" sont néfastes à l’égard de l’image de ces personnes. 
 Je pense également que le fait qu’aucun groupe spécifique ne se soit battu au nom des migrants a également joué en la défaveur de ce projet. Malheureusement, nous ne sommes que de petits groupes défendant des intérêts totalement différents si l’on regarde au premier abord, car il est vrai que l’hétérogénéité migrante peut créer quelques tensions. Pourtant, au fond, nous recherchons tous le même but : que les immigrés bénéficient d’une protection adéquate, qu’eux aussi puissent profiter des droits "définis pour tous" (Ndlr, DUDH 1948). C’est pourquoi, à notre échelon, nous devons parler, nous devons nous mobiliser afin de changer quelques mentalités, afin de cibler l’aspect positif de l’immigration, de le partager et de sensibiliser l’opinion sur le bénéfice de cette nouvelle forme de multiculturalisme.

JI : Quelles sont les actions qui ont pu ou peuvent aider votre campagne à se développer et à se faire connaitre davantage ?

Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it  
 
G.S. : Nous avons la chance d’avoir 50 étudiants de notre promotion motivés et passionnés pour démarrer notre projet. Par la suite, chacun de nous a eu un rôle spécifique dans la mise en place de la campagne. Par ailleurs, une action toute simple telle que celle initiée aux European Development Days regroupant quelques personnes criant, et frappant des mains dans les couloirs de Bruxelles entre deux conférences, leur volonté de convaincre les états membres de l’Union européenne de ratifier la convention a eu un impact très positif. Nous avons pu rencontrer quelques politiciens qui suivent notre projet de très près et le supportent et c’est un appui non négligeable à l’échelle européenne. Les réseaux sont très importants pour porter notre message. 
 
Nous discutons également beaucoup avec les personnes autour de nous pour leur faire prendre conscience de l’importance de ce projet, débattons également avec eux parfois, nous sommes ouverts aux débats. Nous sommes une sorte de mouvement non-lucratif qui souhaite intégrer tout un chacun dans son combat. Nous sommes des membres de la société civile ayant décidé de se battre pour une cause que l’on trouve noble. Si nous nous mobilisons en faveur de processus légaux c’est parce que ce sont eux qui régissent par la suite nos vies, nous sommes les citoyens du monde, nous votons donc nous avons le droit de manifester au nom de ce qui nous parait juste. Trop souvent, les politiciens oublient que nous leur avons accordé notre confiance en les élisant, il est nécessaire via ce genre d’actions de leur remettre un coup de pression. Notre groupe Facebook invite à la discussion instantanée et aux soutiens surtout par n’importe qui souhaitant partager son opinion sur notre mouvement. Notre blog est notre liberté d’expression, notre façon de développer sur ce qui nous indigne, sur nos actions, mais surtout sur ce à quoi l’on croit : partager nos valeurs en parlant de l’immigration. 

Nous avons développé quelques partenariats avec notre université tout d’abord, mais aussi avec la PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants) et des ONG se battant pour les droits des sans-papiers. Par la suite lors du festival des droits de l’Homme de Venise se focalisant cette année sur l’identité, nous avons eu l’honneur de rencontrer autour d’une table ronde Jacopo Molina, conseiller du parti démocrate de Venise, nous donnant la position italienne concernant les questions migratoires. Tout en réfléchissant, autour de quelques films tels que "Mare Chiuso", à la politique italienne et aux diverses condamnations que l’Italie a reçu par la Cour européenne des Droits de l’Homme suite à des violations très graves. Nous avons eu aussi notre mot à dire en traversant Venise le 18 décembre 2013, Journée internationale des migrants où, je pense, nous avons pour ainsi dire touché les âmes de certains. 

Journée internationale des migrants, 18 décembre 2013 | Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it
 
JI : Comment est-ce qu’un mouvement étudiant pourrait influencer la politique et faire changer les choses ? Pensez-vous que cette journée récente puisse avoir de l’influence par la suite ?
 
G.S. : Vous savez, je sais que les campagnes de sensibilisation peuvent prendre du temps, j’ai eu des expériences totalement différentes en Afrique et en Norvège quand nous défilions à cause de l’impact du changement climatique. Nous avons également mobilisé du monde, organisé des activités diverses, récolté des signatures et même fait un tour en caravane avec au moins 180 personnes pour convaincre des milliers de gens de nous rejoindre. Et cela a marché, ce n’était pas toujours évident, mais nous sommes allés à la rencontre de la population, car après tout dans la politique c’est d’eux dont il s’agit non ? Avoir la foi est essentielle. Je ne dis pas que notre mouvement universitaire aura autant d’impact que celui qui m’a valu un long voyage, mais tellement humain avec 200 000 signatures récoltées et des concerts au nom de notre cause du Kenya à l’Afrique du Sud, mais je crois que c’est maintenant ou jamais. Un mouvement tel que celui-ci se fait au jour le jour, se vit et se construit dès à présent même si le chemin est long. 
 
Ce jour-là, nous avons défilé avec une quarantaine de personnes en marchant silencieusement en rang, certains portaient des masques représentant les états se voilaient la face en ne ratifiant pas, d’autres têtes baissées montraient leur désarroi face au manque de coopération puis des lettres avec une lueur d’espoir dans les yeux de chacun se démasquant et retrouvant le sourire apparaissait s’adressant directement aux États membres de l’Union Européenne. On pouvait alors apercevoir ce message impératif en anglais « EU, Ratify Migrants Convention ! » avant que les élèves ne se mettent à chanter et distribuer des dépliants pour que l’Union Européenne aille enfin de l’avant surtout après la polémique de Lampedusa Nous avons eu un impact relativement positif et beaucoup d’intrigués nous ont écouté, appréciant notre engagement, donc je suppose que notre campagne au nom des migrants a eu son cadeau de Noël : elle n’a laissé personne indifférent.  

Journée internationale des migrants, 18 décembre 2013 | Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it
 
* Florence carrot est étudiante en sciences politiques à l'Université Lyon II et passant un an en Inde, elle est correspondante dans ce pays (Chennai et Madurai) pour Le Journal International, mais aussi stagiaire chez People's Watch (ONG promouvant les Droits de l'Homme) et volontaire ponctuelle à l'école de Vellore Garden of Peace. elle cherche à privilégier un regard quelque peu critique dans ses articles toujours inspirés par les Droits de l'Homme, et auxquels s'ajoute souvent une dimension plus sociologique.

Le blog de Migrant matter : http://migrants-matter.blogspot.it
La page Facebook : https://www.facebook.com/migrantsmatter?fref=ts


1 commentaire:

20 décembre 2013

COUPS DE Cœur N° 47 - Spécial Noël

Dernière ligne droite sur le chemin de Noël, la fièvre des préparatifs bat son plein. Tramezzinimag vous présente quelques uns de ses récentes découvertes, des coups de cœur pour fêter Noël et le nouvel an. Bonne fin d'année à tous et un très Joyeux Noël !

Alessandra Zamperini
Véronèse
Imprimerie nationale
350 p., 144 euros. 
Un somptueux cadeau de Noël, et pas seulement un de ces coûteux coffee-table books qu'on ne feuillette jamais et qui n'ont pour seul usage que de montrer aux hôtes la culture et le bon goût des maîtres de maison : une mine, un trésor pour une bibliothèque ! C'est Delacroix qui affirmait tout devoir à Paolo Véronèse. Il l'aurait répété à chaque page de cet ouvrage. Des balbutiements du jeune peintre dans sa ville natale de Vérone, avec les commandes des princes, les Soranzo puis les Gonzague, et l'arrivée à Venise, les premières peintures du palais ducal, celles de la bibliothèque Marciana, les somptueux travaux  pour les Hiéronymites et des patriciens vénitiens, les Pisani, les Trevisan, les Barbaro... Un magnifique livre d'art qui donne aussi à voir dans toute leur splendeur les trompe-l'oeil de la villa Barbaro, construite par Palladio à Maser, bien mieux que ne l'ont fait d'auters beaux ouvrages plus anciens. Très documenté, jusque dans les moindres détails, sur les incertitudes et les controverse, le livre d'Alessandra Zamparini, qui est  professeur d'histoire de l'art à l'université de Vérone, qu'on se prend à penser, avec Thierry Gandillot que la dame est "si bien renseignée qu'on la soupçonne presque d'avoir vécu au XVIe siècle dans l'entourage du peintre..." 

Marie-Caroline Saussier
Venise, Secrets de vénitiens
Ill. de Lise Herzog
Prat éditions, 2013. 
266 pp. - 15,10€ 
Les services de presse ne nous amènent pas forcément de bonnes surprises. Nombreux sont les ouvrages qui finissent sur un coin d'étagère et dont on ne vous parle pas. Le guide des éditions Prat consacré à Venise n'est pas de ceux-là. Bien qu'assez lourd et de format peu propice à se glisser dans une poche, le livre est une joyeuse découverte. En plus de deux cents pages, Marie-Caroline Saussier a su exprimer l'essence même de la cité des doges, traduisant au fil des pages la joie et l'émotion, le bonheur et le plaisir qui caractérisent le plus souvent la découverte de la ville. Bien conçu, complet, didactique à souhait, le lecteur trouvera tout ce qui est nécessaire à la préparation de son voyage, des détails intéressants, des anecdotes, tout ce qui permet de se sentir autrement que voyeur égoïste surfant à la surface des sensations et des usages de cette ville unique au monde. Rien à redire donc sur cet ouvrage très didactique, pratique aux illustrations et photos bien choisies. Cinq vénitiens confient leurs coups de cœur, les endroits qu'ils fréquentent, les lieux qu'ils préfèrent. Venise, secrets de vénitiens se lit comme un roman, une fois entamé on a envie d'aller jusqu'à la dernière page. On y parle des ponts et des puits, mais aussi de la gloire maritime de la Dominante, des îles, avec un paragraphe consacré aux potagers de la lagune. Les mystères de la cité des doges sont évoqués, comme les fêtes et les traditions locales... Palais méconnus, meilleurs bars à cicchetti, promenades guidées dans Cannareggio ou santa Croce... Autant de thématiques soulignées par l'attachement des cinq vénitiens interrogés à leur chère Venise. On est toujours loin des clichés touristiques. C'est savoureux, gourmand, et addictif. L'envoi comprenait aussi le volume consacré à Rome qui, de la même manière, se lit comme un roman, rempli de bonnes adresses, d'anecdotes et de conseils qui font de ces nouveaux guides des ouvrages originaux et passionnants.

Bruno Maurice
Mitango
Label Inspirmusic 
2013 -18 €
http://www.inspirmusic.com/cdmitango.html Comment exprimer la surprise, le ravissement et l'attrait de ce disque, le dernier en date de Bruno Maurice, brillant jeune spécialiste de l'accordéon dit bayan Appassionata. Ce professeur du conservatoire de Bordeaux a des goûts très éclectiques et un jeun plein de grâce et d'ampleur. A l'image de son personnage. Humble, réservé, presque timide, Bruno Maurice éructe sa sensibilité, son empathie pour la nature et les êtres. sa musique, qu'il interprète un morceau du répertoire ou bien qu'il improvise. Mitango est une succession de bonheurs, tous différents, qui ne peuvent laisser indifférents.Le disque s'ouvre sur un morceau d'essence très classique, méditatif, qui prend peu à peu de l'ampleur jusqu'à ressembler à la sonorité d'un grand orgue, puis les pièces se succèdent, tantôt méditatives, mélancoliques ou joyeuses... Une musique classique mais aussi très moderne, avec des touches de tango et de jazz. La version du merveilleux "Sur les quais du vieux Paris" de Ralph Erwin immortalisé par la voix de la grande Lucienne Delyle en 1939, ne peut laisser personne indifférent.

15 décembre 2013

Venise, la colonne de San Salvador


..En dépit de ses presque neuf mètres de hauteur, la colonne du campo San Salvador est un des éléments "invisibles" de la cité des doges. Située sur le campiello qui fait le lien entre le Rialto et San Marco, presque toujours envahi par les On passe à côté, on lui tourne autour, mais on ne sait rien d'elle, ou pas grand chose sauf qu'on l'a toujours vue là. Et pourtant, elle a un sens pour les vénitiens qui connaissent l'histoire de leur nation. 

..Ce monument commémore la flambée d'émeutes qui secoua Venise en 1848, le 22 mars précisément, quand la population tenta de reconquérir sa liberté et fut proche d'y parvenir, tenant la ville à l'écart des autrichiens pendant dix huit mois, jusqu'à la fin de l'été suivant, après avoir poussé les autrichiens et leur gouverneur militaire, le comte Palify, à capituler et à se retirer sur la terraferma. L'Europe secouée de spasmes révolutionnaires vit l'empire austro-hongrois prêt d'imploser, comme faillit imploser le royaume de France quasiment au même moment. La colonne, trouvée dans des fouilles à Rome, fut offerte à la Commune de Venise par le sculpteur Antonio Dal Zotto, à qui l'on doit la statue de Goldoni qui trône sur le campo San Bartolomeo. Son chapiteau et les ornements de sa base sont en bronze comme l'habillage représentant une feuille de palme qui décore le fût de marbre antique, sur laquelle est inscrite la date, XXII MARZO MDCCCXLVIII. 

.
le général Mezzacapo
.
Le monument fut inauguré le 22 mars 1898 par le maire Grimani descendant d'une des plus grandes familles patriciennes de l'ancienne république, en présence du dernier héros survivant de cette épopée, le général Carlo Mezzacapo, qui commanda le Fort de Marghera puis ensuite celui de l'île de San Secondo pendant la résistance déterminée des vénitiens. Originaire de Capoue, le vieux militaire, était à l'époque officier des armées de l'armée des Bourbons (du Royaume de Naples), alliée des piémontais contre l'Autriche. Lorsque l'ordre de retrait arriva, il décida de désobéir et rejoignit Venise en compagnie de son homologue le général Pepe, lui aussi napolitain, qui mourut sur la lagune. Il s'unit aux insurgé vénitiens. Il refusa ensuite de réintégrer l'armée napolitaine et choisit de s'exiler. Il existe un bas-relief, calle Larga de l'Ascension, édifié à la mémoire de ces officiers napolitains qui défendirent Venise en 1848. Il représente les généraux Pepe, Rossarol, Cosenz, Mezzacapo. La dédicace : 
"Ufficiali napoletani offersero vita e sangue a Venezia per convincere il mondo esservi tutta una Italia insoffe­rente al giogo straniero, 1848 - 1849."
(Des officiers napolitains donnèrent vie et sang à Venise pour convaincre le monde que l’Italie ne souffrira plus le joug étranger, 1848-1849)

Le Risorgimento est présent aussi non loin de là, avec deux boulets de canon incrustés dans le mur de façade, côté extérieur de la Piazza, pour rappeler la pluie de bombardements qu'avait subie la Sérénissime entre le 29 juillet et le 22 août de cette terrible année. Plus de 23.000 projectiles furent ainsi tirés sur la ville par l'artillerie autrichienne. Après l'assaut des troupes ennemies, ce fut le choléra qui s'insinua dans la ville infortunée. Le poète et patriote Arnaldo Fusinato, qui s'illustra sur les barricades, a écrit sur ces moments terribles dont Venise ne s'est jamais vraiment remise. Pour la première fois de son histoire, l'ennemi l'atteignait en son cœur... : 
“Il morbo infuria / il pan ci manca / sul ponte sventola / bandiera bianca”
(La maladie fait rage, nous manquons de pain, sur le pont nous agitons le drapeau blanc...) 


crédits photographiques : veneziatiamo.eu

____________

 4 commentaires : (Non archivés par Google).


03 décembre 2013

La magie de Venise en novembre : les Dolomites en décor de fond sur la lagune

 
Lorsque la communauté arménienne offrit à la petite association de jeunes bordelais que j'avais alors l'honneur de diriger depuis mon doux exil vénitien, d'imprimer sur ses presses l'ensemble des documents de communication de l'ambitieuse manifestation que nous avions décidé d'organiser à Bordeaux en hommage à Venise, ce fut naturellement cette agrandissement de la fameuse carte de Erhardum Reüwich de Trayecto et Bernhard von Breydenbach qui publièrent au XVe siècle un ouvrage illustré sur le périple qui les mena de la sérénissime d'où ils embarquèrent, jusqu'en terre Sainte. Le père Mékhitariste, alors supérieur du collège arménien de Venise, qui m'accompagna à l'imprimerie, située dans une aile du couvent, au milieu de la lagune. avec notre consul de l'époque, Christian Calvy (à qui je dois ce cadeau fantastique que les arméniens firent à notre petite manifestation), nous en fit une description très poétique dont j'ai noté l'essentiel dans mon journal de l'époque :
« Admirez la finesse du trait, même grossi. Les artistes ont voulu montrer cette vision extraordinaire qu'on ne voit pas souvent, des montagnes enneigées comme un décor de fond à Venise qui se détache devant elles comme par magie.»

Cet époustouflante perspective, inchangée ou presque des siècles plus tard, est toujours un grand bonheur quand on peut la contempler. C'est notre actuel représentant, Gérard-Julien Salvy, qui a bien voulu attirer mon attention sur ce magnifique spectacle. Le voici tel que les vénitiens ont pu le contempler ces jours derniers. Pour ceux qui ont la chance de l'avoir déjà vu en vrai, mais aussi pour les autres, Tramezzinimag est heureux de vous présenter ce magnifique palcoscenico dressé par Mère Nature.










6 commentaires:

Virginie Lou-Nony a dit…

Magnifique, féerique, que j'aurais aimé voir ce paysage "en vrai"! Mais les photos sont très convaincantes. Merci encore Lorenzo!

Dominique a dit…

Quel bonheur ! Merci

Dominique a dit…

Magnifique ! Quel bonheur ! Merci.

stephanie dupont a dit…

magnifiques ses photos...!!!

manouche a dit…

Dire que je n'avais pas vu la montagne ! merci.

Gérard a dit…

La sublime beauté immémoriale de Venise est là .
Les sombres canaux de Barrès s'effacent d'un coup .
L'humain devient silice .

02 décembre 2013

Le crayon de Lord Byron (1)

Il y avait dans notre grande maison mille trésors qui ont nourri chacun à leur manière mon imagination d'enfant, souvenirs d'un passé flamboyant qui paraissait à l'enfant solitaire que j'étais bien plus merveilleux que l'époque moderne dans laquelle il allait me falloir vivre. 
 
Les nombreuses salles de la vieille demeure avaient toutes leur secret. il y avait le grand salon avec le piano de Wagner, la rotonde avec le placard secret qui me faisait un peu peur, recoin camouflé derrière les boiseries qui avait dû abriter un escalier vers les communs. La bibliothèque, elle aussi en rotonde avait un vieux coffre-fort caché par plusieurs rangées de faux livres, en fait les dos des cent dix volumes de l"Histoire Universelle parue au milieu du XVIIIe dont on n'avait conservé que les cartes qui me servirent quand je jouais aux pirates ou à la conquête des Indes... Un couloir plein de placards datant d'avant la révolution contenait mille paperasses. 

Ailleurs, c'était une armoire creusée dans un mur qu'on découvrit en refaisant les plâtres et qui contenait jouets et livres d'enfants, rangés là après la mort de leur jeune propriétaire... Une chambre me parlait de l'infortunée reine Marie-Antoinette parce qu'on y conservait dans une vitrine une panière de vannerie qui aurait été utilisée par les infortunées princesses dans leur prison du temple et un bonnet de dentelle et de linon entouré d'un ruban de velours noir qui avait appartenu à la reine et qu'elle portait après la mort du roi... De vieux soldats de plomb et des boîtes de jeux anglais, allemands ou italiens, un gramophone avec ses aiguilles comme neuves et de vieux disques 78 tours dont le premier enregistrement de Yehudi Menuhin enfant avec sa dédicace maladroite au crayon blanc sur l'étiquette circulaire imprimée en lettres dorées...

Tellement de livres aussi, des dizaines d'albums de photos et de cartes postales, de scrapbooks et d'herbiers, dont celui rempli par une de mes aïeules qui contenait des plantes séchées prélevées dans des tas de lieux historiques dans les années 1830, au pied de tombes de personnages célèbres, mais aussi dans les jardins de Trianon, de Compiègne, de Vienne ou de Fröhsdorf. Une des chambres du second était décorée de dessins anciens. L'un d'entre eux montrait une salle du palais Loredan qu'habitait alors Don Carlos, neveu du Comte de Chambord, notre dernier roi de jure, qui déjà me faisait rêver de la ville que je ne connaissais pas encore... 
 
Même la vieille cuisine avec son énorme fourneau de tôle peinte en noir et ses cuivres rutilants, le monte-charge dans lequel je me cachais enfant, espérant qu'un domestique me hisse jusqu'à l'office du premier étage par inadvertance ; la fleurerie, petite pièce construite au-dessus de l'office, où on dressait les bouquets destinés à orner les pièces de la maison. De là, recoin secret et tranquille, on pouvait observer la grande salle-à-manger voisine par un œil pratiqué dans les boiseries d'acajou. De là la grande tapisserie des Flandres qui ornait un mur semblait s'animer. Je m'imaginais dans les buissons, me cachant des loups qui faisaient fuir un chasseur que protégeaient ses chiens, avec au loin le château qu'on apercevait abritait mille trésors somptueux et une belle princesse attendait que je vienne la délivrer... Cette grande et belle verdure à l'odeur de poussière fut décrochée pour être vendue à la mort de mon père, laissant sur la paroi un grand rectangle noir que j'imaginais aussitôt être un écran de cinéma ou une ardoise géante pour une école de géants.. 

La lingerie avec sa grande panière d'osier que je possède encore où la lisseuse déposait le linge à repasser... Tour à tour traîneau, tombeau égyptien, sous-marin insubmersible, elle me terrorisa le jour où un cousin plus âgé m'expliqua qu'elle avait servi pour transporter les malheureux guillotinés qu'on y déposait, la tête fraîchement tranchée enter les jambes avant de les jeter dans une fosse commune qu'on recouvrait de chaux vive. J'y ai cru longtemps et quand ils voulaient m'y faire rentrer, je décampais en hurlant...  
 
Dans une autre pièce, appelée le studio, sûrement parce que du temps de mon arrière-grand-mère on y lisait et on y dessinait, un vieil écritoire trônait sur une table. Il était garni de stylos et de crayons. il y en avait un en laque bleue dont le capuchon servait aussi de flacon de sel ou de parfum. Le bouchon était en bronze doré. un autre en métal argenté orné de feuillages gravés avait un mécanisme ingénieux que j'aimais activer. il s'agissait en fait d'un porte-mine anglais. Un bouton permettait de faire glisser la mine à volonté et une gomme se cachait sous le capuchon, mais celui que je préférais trônait dans un bel écrin en écaille dont le couvercle était en verre. Aveclui dans la boîte, un coupe-papier en ivoire dont le manche était orné de roses très finement sculptées. Ce crayon en or me fascinait car on  disait qu'il avait appartenu à Lord Byron


La légende qui entourait ce crayon était pour moi un grand objet de fascination. Lié, comme beaucoup d'objets de la maison jamais déménagée, au passé de notre famille mais aussi à l'histoire, la grande comme la petite, celui-là chantait une musique un peu différente. Je ne peux m'empêcher de penser aujourd’hui que toutes ces choses inanimées, placées là par ceux qui vécurent avant moi, m'ont fait ce que je suis bien plus que les choses apprises pendant mes années d'étude ou pendant mes voyages. Ils étaient l'âme de la vieille maison que j'ai tant aimé mais aussi des témoins discrets d'un passé dont je suis rempli et qui m'a façonné. 
 
L'histoire du crayon remonte aux années 1820. Lord Byron a quitté Venise depuis quelques mois. il s'est installé près de Livourne, à Montenero, Via dei Terrazzini (aujourd'hui Via Lord Byron), à la Villa Dupouy. Un de nos aïeux avait un comptoir à Livourne. Il était en affaire avec le poète et portait des lettres de Venise pour lui. Les deux hommes se voyaient souvent, se connaissant depuis l'époque où l'anglais séjournait chez le marquis de Brême à Turin, ou à Milan, je n'ai jamais bien su. Stendhal, quelque part raconte les soirées à l'opéra dans la loge du marquis où tous les jeunes gens de la société locale venaient  pour rencontrer le poète anglais. 


Le négociant avait avec lui un neveu qui rêvait d'aventures. Théodore était le fils de son frère qui vivait alors à Florence. Sa mère était la cadette d'une famille vénéto-livournaise. Comme cela se pratiquait couramment à cette époque, les jeunes garçons appelés à reprendre les activités familiales, étaient envoyés comme simple garçon de bureau dans les comptoirs de parents ou d'associés pour se former au négoce. Le jeune Théodore Canot ne voulait pas être négociant, pas plus que banquier ou avocat comme le devenaient tous les hommes de la famille. Lui voulait naviguer, explorer des mondes inconnus. Il sera servi puisqu'il devint un aventurier célèbre, surtout grâce au récit de ses aventures qu'on commente encore de nos jours. Il est plus connu sous le surnom de « Capitaine Poudre-à-canon » dont les mémoires se lisent comme un roman d'aventures sauf que tout est véridique dans ses années de pérégrinations en tant que négrier. Mais pour le moment, le jeune Théodore n'a pas encore seize ans et il n'est encore qu'un jeune apprenti dans le bureau des entrepôts de son oncle...
 
à suivre...

2 commentaires: