12 décembre 2005

Venise : Coffre-fort ou poubelle de l'Humanité ?

par Giulio Macchi
responsable des Regards comparés sur Venise
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Chaque bon musulman doit aller au moins une fois à la Mecque dans sa vie. Chaque habitant de la planète rêve de débarquer à Venise. Qu'y a-t-il derrière ce mirage lagunaire ? Il y a Venise toute entière: celle des voyages solitaires d'intellectuels venus du monde entier, celle des couples d'amoureux, celle des troupeaux de touristes agglutinés derrière leur appareil photo… 
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Chacun cherche quelque chose dans cette ville dont les pierres sont chargées de mémoire. L'artiste espère rencontrer le Titien au coin d'une ruelle. Le musicien est persuadé que Vivaldi ne joue que pour lui. Le touriste fera des photos-cartes postales semblables à celles qu'il portait dans sa tête avant de s'embarquer pour le grand voyage. Derrière ces démarches, il y a, cachée, la recherche de soi dans un contexte différent du contexte quotidien. . Chacun se hasarde à interpréter les signes infinis d'une très ancienne mémoire enfermée dans un espace urbain relativement restreint. Cette petite ville est semblable à de grandes archives vivantes où n'importe qui peut pénétrer dans les lacis d'un immense labyrinthe s'ouvrant sur d'innombrables campi pleins de lumière et de surprises. .

Si l'on s'arrête dans un grand bâtiment proche des Frari, on se retrouve plongé dans d'autres archives, des archives "papier" parmi les plus riches d'Italie : les Archives d’État où des historiens et des scientifiques de toutes disciplines peaufinent leurs recherches sur l'histoire de cette ville ou sur le reste du monde, car la petite Venise avait ses ambassadeurs diligents qui transcrivaient, en bon vénitien ou en codes secrets, ce qui se passait dans les pays voisins ou les contées lointaines. 
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D'autres archives manquent pourtant à Venise, des archives que les autorités locales devraient constituer : ces archives audiovisuelles qui assembleraient l'infinie richesse d'une iconographie constituée de films, d'émissions de télévisions, de reportages photographiques … Tant d'interprétations diverses, dans des registres si variés, de capteurs d'images qui "découvrent", "déchiffrent", "raillent" la ville. De Luchino Visconti, avec Senso et Mort à Venise, jusqu'à l'hyperbole 007 From Russia with Love.
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Cette Iconothèque aiderait certainement à mieux saisir le rapport entre la ville et ses visiteurs modernes. L'accumulation d'Histoire et d'histoires, qui se déroulent légères devant les murs anciens des palais et des églises, contraste avec le manque de signes relatifs à notre époque. On a refusé les projets architecturaux de Le Corbusier, de Louis Khan, de Frank Lloyd Wright. Que restera-t-il pour témoigner de la créativité moderne ? Certainement pas les palais entièrement vidés et transformés en élégantes surfaces de vente des grandes marques à la mode, certainement pas non plus les petites boutiques d'artisans transformées en magasins de souvenirs. Le danger que Venise devienne une grande Fontaine de Trévi, où chacun viendrait jeter une pièce de monnaie pour réaliser ses vœux secrets, menace la ville. Il faut s'en défendre.

Venise en noir et blanc

à suivre...

Passegiando... ragazzi per la strada.


04 décembre 2005

Aqua alta record à Venise : 1,32 mètre !

Un triste record samedi à Venise avec une montée des eaux de 132 cm du jamais vu depuis longtemps surtout à Murano qui pendant plusieurs heures a été envahie par des eaux boueuses et pestilentielles dues aux remontées d'égout certainement liées aux travaux de curetage des canaux actuellement en cours. Des milliers de touristes surpris par les eaux, les pontons de vaporetto accessible en montant, toute la vie commerciale de la cité paralysée sous un ciel très menaçant et par un vent soufflant avec force. 

Bilan : une polémique entre le président de la Région, le Signor Basan, de la Liga Veneta et le maire-philosophe de Venise, Massimo Cacciari dont les journaux se sont fait écho, le premier mettant en cause l'inanité présumée des élus municipaux quant aux solutions prônées pour sauver Venise de cette menace permanente et la campagne pour l'abandon du projet pharaonique "Mose" dont on est presque sur aujourd'hui qu'il ne permettra pas de préserver Venise des inondations mais seulement de trois ou quatre grandes marées annuelles. L'idée se fait de plus en plus présente d'un long chantier de rehaussement de la ville avec les risques que cela peut présenter mais qui permettrait à terme de supprimer les risques d'effondrement et de pollution des fondations des immeubles de la cité des doges.

"Il y avait du soleil et soudain du brouillard. Une marée record de plus de 132 cm au-dessus du niveau zéro maréographique, et une ville qui a du vivre sous l'eau pendant quelques heures dans des conditions assez précaires." commentait le quotidien Il Gazzettino de ce dimanche : "Scènes d'urgence ordinaire, surtout vers 11 heures du matin hier avec une pointe rarement enregistrée. Pour résumer la matinée d'hier, deux images parlantes : les pontons de l'ACTV à la verticale tellement le grand canal était haut et les conteneurs d'ordure remplis de bottes en plastique transparents que l'on vend à un rythme incessant aux touristes sur la place Saint Marc. Pourtant annoncée à temps, la marée haute a trouvé des centaines de touristes non préparés à l'évènement, pataugeant dans des eaux saumâtres à la couleur effrayante..."  


Les caractéristiques de l'aqua alta de samedi : de 10 h. 55 jusqu'à 11 h. 20 le coefficient est resté à 132. Il reflux s'est fait assez lentement à cause du vent du sud et au volume d'eau ayant pénétré dans le golfe. Les vents de sud ont soufflé sur toute l'Adriatique : on a enregistré 135 centimètres à Burano et 141 centimètre à Caorle. La municipalité, par l'intermédiaire du Centre des Prévisions et de Signalisation des Marées, a adressé les premiers messages d'alerte à 6 h. 56, tandis que les sirènes et les haut-parleurs de la Piazzale Roma ont été activés à 7 h. 08. Même chose pour les panneaux lumineux d'information. "Un'alta marea di 132 centimetri - afferma una nota di Ca'Farsetti - comporta l'allagamento di una superficie di circa il 70 per cento della città con una media di 50 centimetri in piazza San Marco". Sur la place et dans les zones touristiques limitrophes, de nombreux touristes n'ont pas hésiter a se promener dans les rues inondées et sur les ponts en dépit de quelques pigeons morts qui flottaient parfois et d'une eau à la couleur peu rassurante.  

"I veneziani - a dit Cacciari - sanno che c'e l'acqua alta e sanno anche che il Mose non salverà Venezia dall'acqua alta, ma solo da due o tre acque alte l'anno" ("les vénitiens savent que c'est une marée haute et ils savent aussi que le Mose ne préservera pas Venise des inondations que deux ou trois fois l'année") en réponse à la polémique lancée hier par le président de la Région. Les critiques fusent en effet depuis quelques semaines sur l'incertitude qui caractérise les recherches faites depuis des années pour la mise au point du projet Mose qui semble aujourd'hui ne plus être aussi fiable qu'on a bien voulu le laisser croire dans les milieux gouvernementaux. Les spécialistes semblent de plus en plus pencher pour une autre solution, moins coûteuse bien que plus longue mais en tout cas moins hasardeuse. Comme cela a déjà été fait pour quelques zones urbaines, comme les alentours de Saint Marc, il s'agirait de rehausser la base de la cité évitant ainsi que les eaux hautes ne viennent altérer les fondations et perturber le fonctionnement quotidien de la ville. L'autre problème qui vient à peine de trouver sa solution était l'envasement des canaux urbains. 


Depuis plus de cinquante ans les municipalités successives avaient abandonné le curetage des canaux, autrefois réalisé à la charge des riverains chaque année. Dans certaines zones, on a ainsi enlevé plus de 150 cm de vase et de détritus. De même dans la lagune, certains chenaux sont embourbés et ne mesurent plus que 30 à 40 cm de profondeur au lieu des 2 mètres d'avant. A l'inverse le chenal qui permet aux navires de gros tonnages (notamment cargos et pétroliers) de pénétrer dans le bassin de Saint Marc et de rejoindre, par le canal de la Giudecca, le port industriel de Marghera, a été tellement approfondi, qu'il a totalement modifié l'écosystème lagunaire en certains endroits. C'est une vision globale de la lagune qui est maintenant envisagée à juste titre par les scientifiques qui cherchent à renouer, autant que faire se peut, avec les traditions vénitiennes imposées pendant plus de mille ans par la nature. Ignorer ceux que les anciens vénitiens connaissaient a été une grande erreur, due à la prétention des modernes qui ont trop longtemps cru - et croient encore pour certains - que seule leur science peut apporter des solutions et oublient l'expérience du passé. Mais je ne suis ni océanologue, ni ingénieur des Eaux. Je crois simplement que si les hommes ont agi pendant des siècles d'une certaine manière et que leurs actes permettaient la sauvegarde et le maintien d'un système de vie, c'est que cette manière était bonne et que rien ne peut en justifier l'abandon.

Farniente d'inverno...

Les fins de semaine sont désormais plus tranquilles. la rentrée des classes est loin, chacun a pris son rythme et la maisonnée s'enfonce doucement dans l'hiver, les choses vont plus lentement et tout au long de la semaine, il flotte dans l'air des envies de feu de cheminée et de longs moments de farniente dans un bon fauteuil, des scones et une tasse de thé fumant à portée, un bon livre, de la musique et les amis de toujours avec qui le temps passe tranquillement. Un art de vivre heureusement transmis de génération en génération... Ce temps de l'Avent est traditionnellement réservé chez nous aux préparatifs de la grande fête qui fait briller les yeux des enfants et ravive en moi de douces réminiscences. Temps pour le bien manger. Je passe donc mes heures de loisirs, la porte du cabinet refermée derrière moi, à cuisiner. Voici deux recettes qui conviennent à nos soirées de décembre. Simples et conviviales, elles nous aident à attendre les délices de Noël. Bien entendu, elles sont italiennes.
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Risotto royal (ou risotto des enfants). 
C'est la recette préférée de mes enfants. Très goûteux, il est vraiment facile à réaliser et fait toujours impression. Pour les grands soirs, j'ajoute des morceaux de truffe blanche et je sers le même champagne en boisson. Pour les enfants, je hache les oignons le plus fin possible.
 
Pour 6 personnes, il vous faut : 600 grammes de riz rond spécial risotto (je préfère le superfino arborio), 1/2 litre de champagne (certains mettent aussi de la bière), 1 litre de bouillon (j'utilise du bouillon cube végétarien ou de poule), 200 ml de crème liquide, 150 g de parmesan frais râpé, deux oignons blancs, huile d'olive, beurre.
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Hachez les oignons le plus finement possible et les mettre à blondir dans une casserole avec 50 g. de beurre et deux cuillères à soupe d'huile. Lorsque les oignons deviennent transparents, ajouter le riz en une seule fois et la moitié de champagne (ou de bière), jusqu'à complète évaporation. Ajouter ensuite le reste de champagne (ou de bière). Puis ajouter la crème et le bouillon chaud peu à peu Il sera peut-être nécessaire d'ajouter un peu d'huile. Quand le risotto est à point, Salez et poivrez. enlevez du feu et au moment de servir ajouter le parmesan. Bien mélanger. Servir aussitôt, bien crémeux.
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Poulet savoureux de Lucia, recette de Lucia Fanton
Une recette née un jour où Lucia ne savait pas quoi cuisiner, et qui est vraiment délicieuse.
 
Ingrédients :
un poulet coupé en 8 morceaux auxquels on a retiré la peau. Un pot de grosses olives noires, des anchois à l'huile, une gousse d'ail, huile d'olive, beurre, sel et poivre.
 
Mettre l'huile et le beurre sans une casserole et lorsque le mélange frémit, ajouter les morceaux de poulet. Pendant que la viande rissole, dénoyautez les olives, hachez les anchois et l'ail assez finement. Quand le poulet semble bien saisi, ajouter olives et les anchois et l'ail. Mélanger les ingrédients, poivrer. Ajoutez du sel si nécessaire. Ajouter un peu d'eau ou de vin blanc et finir la cuisson. au moment de servir, ajouter encore un peu d'eau. Servir très chaud en nappant le poulet de la sauce obtenue. 
 
C'est un délice. Je le sers avec de la polenta grillée et parfois des petits légumes bouillis légèrement frits (courgettes, aubergines, et haricots verts).

03 décembre 2005

Moments de vie...


Pour ceux qui prétendent que Venise n'est qu'un sanctuaire, une sorte de Disneyland, un musée fantomatique, figé dans les réminiscences d'un passé magnifique mais définitivement mort et enterré, voici quelques images. Venise est vivante, mais jusques à quand ?





 



Libreria Venexiana

On me demande quel livre lire en se rendant à Venise. Le choix est vaste. Un train de nuit, le froid dehors et la cabine bien chaude avec le chocolat fumant servi à la demande...
 
Emportez-donc "Amoureux fous de Venise", une anthologie préfacée par René Huygues et (chez Olivier Orban). Elle date un peu mais contient une jolie somme de textes sur Venise écrits par quelques uns de nos écrivains actuels, des auteurs de talent, des classiques aussi. En avion, pendant que vous survolez les nuages au-dessus des Alpes ? Essayez le "Dictionnaire amoureux et savant des couleurs de Venise" de Alain Buisine, édité par Zulma. Mais comment être exhaustif ? Des livres sur Venise, il y en a des milliers. Des bons et des mauvais. Des grands qui laissent une émotion ineffaçable et des gros prétentieux qu'on voudrait oublier très vite. Il y a tellement d'amour chez celui qui ose encore écrire sur Venise qu'il en oublie souvent la fatuité d'ajouter son nom à la pléiade des grands qui depuis Cassiodore parle de la sérénissime !

Juste quelques coups de cœur et des passages obligés : "La bulle de Tiepolo" de Philippe Delerm, (Gallimard), est un petit joyau écrit visiblement avec beaucoup de plaisir par son auteur. Mais je vous en reparlerai et j'espère que ceux qui l'ont déjà lu viendront me donner leur avis. L'inévitable Philippe Sollers et son "Dictionnaire amoureux de Venise", (Plon). Une lectrice en a fait un excellent commentaire qu'elle m'a adressé. Je reparlerai de notre bordelais à propos d'une anecdote malheureuse (où comment naissent bêtement les inimitiés). Pour les anglophiles, j'ai lu il y a peu un ouvrage anglais très agréable à lire et passionnant, sur les couvents vénitiens au XVIe siècle, "Virgins of Venice" de Mary Laven (Penguin books).


02 décembre 2005

Idées reçues.


C'est fou comme les idées reçues ont la vie dure. Je discutais, lors d'un récent dîner en ville avec ma voisine de table, une charmante octogénaire reconnue ici pour son soutien aux artistes. Nous parlions de Venise, évidemment. Elle me dit soudain, avec beaucoup d'assurance dans la voix, "Venise est un délice mais c'est tellement morbide. Le paradis des déviants et des invertis. Une ville de tuberculeux romantiques"... Je ne répondis rien, bien entendu. Elle ajouta aussitôt "de toute façon elle s'effondre et s'enfonce, c'est délicieux à voir mais ça pue!". Cela fit beaucoup rire nos voisins. Il ne manquait que ces sales pigeons porteurs de maladie, la chaude-pisse de Casanova et Thomas Mann bénissant Adelsward Fersen marié à Barrès... 

Non Venise n'est pas une cité de mort, elle est bien mal en point certes mais elle vit. Il suffit de quitter les hauts lieux envahis chaque jour par les hordes de barbares venus d'Asie, d'Amérique ou de chez nous, pour s'en rendre compte. Elle vit, elle tressaille, elle gigote, elle s'amuse. Et sa vitalité est comme un pied de nez à ces clichés rassis. Promenez-vous en hiver du côté de Santa Margherita, non loin des facultés. Vous verrez des centaines de jeunes passer, rire, plaisanter, boire un verre ou un café dans les nombreux bars de l'endroit. Le matin, autour du kiosque à journaux, on discute ferme des gesticulations de l'infâme Berlusconi, on commente les résultats sportifs. Les tavernes enfumées de Cannareggio, celles des fondamente qui entourent l'Anzolo Rafaele, San Sebastiano, sont pleines de monde. Il s'y fait de la très bonne musique. Dans les ateliers, les artistes créent, et les musiciens inventent dans leurs studios les musiques de demain. A l'école d'Architecture les élèves travaillent avec les meilleurs maîtres de toute l'Italie. Les collèges et les lycées sont remplis d'une jeunesse belle et pimpante. 

Où est le mouroir décrit par cette néo-intellectuelle prétentieuse ? Voilà trente ans que j'entends ainsi parler de Venise : on l'associe aux amours troubles et délurées, à des sexualités déviantes ou à la mort avec ses cortèges de déliquescences et de corrosions en tout genre. Non, pour moi la Venise que je vois, celle où je vis c'est celle que le Président de Brosses sut décrire, celle que visitèrent Rousseau et Mozart, la cité lumineuse de Goldoni, de Guardi ; une fête joyeuse, un paysage clair et lumineux. Car Venise est toute de lumière et de reflets n'est-ce pas. Depuis quand la lumière rutilante et les reflets qui palpitent sont-ils les décors de la mort et du sordide ?