30 avril 2007

Irisée d'une tendre jeunesse de lumière...

C'est demain l'anniversaire de ma grand-mère maternelle qui aurait 115 ans ! Cette vieille dame, avec douceur et discrétion m'a tout donné : le goût de la musique, de l'art, des fleurs, du calme et des bonnes choses. C'est aussi l'anniversaire d'une merveilleuse personne plus jeune de 35 ans qui vit à Venise et qui fut l'un de mes guides lorsque je m'installais dans la cité des doges, une sorte de protectrice et de marraine. Elle adore les roses.

Je lui ai fait envoyer deux rosiers de chez David Austin, des Centifolia Muscosa, appelées aussi Old Pink Moss, cette belle variété remontante et très parfumée que je voudrais aussi planter, si je pouvais, dans notre petit jardin de la Toletta et qui se plairont chez elle. Cela m'a rappelé un texte de Henry de Régnier que je dédie à ma vieille bonne amie vénitienne pour son anniversaire et à tous ceux qui raffolent du printemps à Venise.

"[...] Venise aussi a ses jardins dont les roses débordent les vieux murs, mais ce n'est pas là qu'est son printemps. Il est dans la fraîcheur de la lumière, dans le rajeunissement des pierres et des eaux, dans je ne sais quoi de joyeux et de délivré, dans la furie ailée des hirondelles, dans l'éclair de leur vol sous l'arche de quelque pont. Il est aussi de grandes averses qui parfois tombent du ciel. J'en ai subi une tout à l'heure. Rien ne l'annonçait. Nous avions pris une gondole pour aller jusqu'à l'Arsenal. J'aurais dû remarquer cependant que l'eau des canaux était sournoise et comme anxieuse. On la sentait pleine de ces courants secrets, de ces mouvements intérieurs que les gondoliers connaissent si bien et savent si bien utiliser, pour ménager leur effort avec un art délicat et une paresseuse précision. Tout à coup, sans que nous ayons vu le nuage se former, il s'est mis à pleuvoir, une pluie forte, chaude, abondante, qui criblait l'eau du petit canal où nous nous trouvions. Le gondolier a cherché un abri sous un pont. Justement, il avait choisi un de ces rares ponts de fer dont le tablier est à claire-voies. Nous attendîmes là la fin du déluge. Parfois une grosse barque pansue et ruisselante frôlait au passage la gondole avec un frottis de bois mouillé et continuait sa route silencieuse [...]"
[...] "La Venise printanière, toute en nuances, toute en reflets, toute irisée d'une tendre jeunesse de lumière ![...]"
(extraits de "L'Altana ou la vie vénitienne" par Henry de Régnier)

Le printemps éclate en mille couleurs



27 avril 2007

Vivere Venezia

"Vivere Venezia", (Vivre Venise). C'était le titre d'une revue à l'éphémère existence à laquelle je participais et dont Bruno Tosi fut le directeur de publication (et Giuliano Graziussi, l'éditeur). C'est aussi le titre qu'on pourrait donner à un magnifique texte composé (plutôt qu'écrit) par Claudio Ronco.

Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter ce magnifique texte (ICI)de mon ami Claudio Ronco, compositeur et musicologue, violoncelliste émérite que j'ai rencontré un jour à Venise et que j'ai eu l'honneur de recevoir à Bordeaux où, dans le cadre de la Première semaine de Bordeaux à Venise (il n'y en eut pas d'autres !), il y a plus de vingt ans, il donna deux concerts extraordinairement époustouflants dans ce qui était alors la salle Jacques Thibaud et dans les foyers du Grand Théâtre... (voir mon article en cliquant sur ce lien).

Écoutez-le parler de Venise. Écoutez la voix de Venise. J'aurai aimé écrire ce texte. Comme Claudio Ronco vit Venise, je me sens vivre dans la musique des mots qu'il déclame avec tout son amour pour notre chère Sérénissime. Comme lui, un jour j'ai décidé que ma vie, c'était Venise. Mais lui, contrairement à moi, est un artiste et il a choisi de vivre de son art à Venise quand j'ai eu la faiblesse de me contenter d'un quotidien commun, la vie facile de monsieur tout le monde, en rentrant à Bordeaux...

Merci Claudio pour ce beau poème. Merci Umberto Sartory pour les photos de ces murs qui sont pour nous qui aimons Venise le symbole même de cette ville...

24 avril 2007

Un forum intelligent

J’y suis inscrit depuis longtemps, j’y passe parfois quand un courriel me prévient d’un nouveau débat mais plus ou moins consciemment, je me rends compte que je les snobais… Injuste attitude certainement mâtinée d’une jalousie inavouée : "Comment puis-je accepter que d’autres partagent le même amour, le même goût, la même passion pour Ma ville ?" Ridicule attitude qui me fait sourire en écrivant ces lignes : vous qui aimez Venise, vous qui allez vous y rendre, ne manquez-pas de passer par la case Venice-views : le forum. C’est souvent drôle, toujours bien documenté, plein d’idées et de bonnes choses.

Je viens de lire une série de commentaires écrits par les membres du forum en réponse à la provocante déclaration d’une certaine Christine qui revenant d’une croisière en Méditerranée, avait fait l’étape obligée mitonnée par les tour-operators : Saint-Marc, le Campanile, les Mercerie, sous un soleil tapant au milieu de la foule. Tout le monde est tombé à bras raccourcis sur la pauvre dame qui à ma connaissance n’a plus donné signe de vie ! La pauvre, elle a eut de Venise une image horrible, celle que l’on a lorsqu’on fait un tour en gondole dans la Venezia reconstituée à Las Vegas (berk!)… Bref, je vous recommande ce forum si par un malheureux hasard vous ne le connaissez pas encore ! Et félicitations à ses fondateurs et aux animateurs !

20 avril 2007

Aimez-vous Tobiasse ?

Lui en tout cas aime Venise... "et nous dans la famille, nous aimons Tobiasse et Venise", vient d'enchaîner Constance (ma petite dernière), qui venait de lire par dessus mon épaule le titre de cet article. Dans ses carnets - qui viennent d'être publiés à nouveau - le peintre de St Paul de Vence fait la part belle à la Venise des amoureux, colorée et chaleureuse. Cette vision plait beaucoup aux enfants et aux amoureux.

15 avril 2007

Égotisme di passeggio

Je suis sorti ce matin de bonne heure, laissant la maisonnée dans les brumes du sommeil. Peu de monde dans les rues. Quelques pas en direction de San Barnaba. Traghetto. J'aime le Grand Canal au petit matin. Le trafic est déjà intense mais il règne une sorte d'euphorie. La joie du jour nouveau forcément chargé de promesses. C'est exactement ce que je ressentais en marchant. Une joie ineffable, celle d'être là, à Venise, par une belle matinée de printemps, dans le calme et la sérénité d'une journée tranquille à peine commencée, après la folie de ces derniers jours.En prenant un café du côté des Frari, je me suis rendu compte - ceux qui me lisent depuis deux ans crieront à l'évidence - combien je me sens en phase avec cette ville. Combien je m'y sens moi-même, tout entier en harmonie.

A tous les lieux inexplorés qui existent encore en ce monde, à tous les endroits que je ne connais pas, je préfère ces paysages où mon âme se retrouve. A Venise, depuis toujours, je me sens unifié, vivifié. J'existe vraiment, sans faux-semblants ni concessions. Peu de lieux m'ont autant marqué et aussi soudainement. Naples, Sorrente, Capri bien sûr, Constantinople, Rhodes et Lindos, Londres aussi, furent les lieux de mon adolescence mais aucune de ces villes où j'ai vécu mes "années d'apprentissage" ne m'a autant définitivement accaparé, corps et âme.

14 avril 2007

La maison de l'antiquaire

Connaissez-vous l'antiquaire de Torcello ? Sa maison est une caverne d'Ali Baba et le jardin est un lieu délicieux. J'aime beaucoup m'y attarder quand je vais dans les îles. Entre deux vagues de touristes, le campo devant la basilique est un lieu merveilleux. Les quelques chalands, le mur d'enceinte de la propriété garni de stalles antiques, le trône d'Attila, les arbres, les coquelicots sur la pelouse, tout concourt à faire de ce lieu un "palcoscenico" (une scène de théâtre) presque irréel. La lumière et l'air qu'on respire sont les mêmes que partout ailleurs sur le lagune, mais ici il y a quelque chose en plus. Peut-être est-ce l'âme de tous les vénitiens qui vécurent dans l'île au début de son histoire. Ce désert de verdure qu'est devenue Torcello a été autrefois un centre commercial et administratif important, grouillant de monde avec son port et ses entrepôts, ses boutiques et ses manufactures. La maison de l'antiquaire garde sans le vouloir des remugles de ce temps révolu. J'ai chez moi un coffret très ancien qui vient de chez lui. Je l'avais vu un jour il y a longtemps et je ne le croyais pas à vendre. Des années plus tard, à l'occasion d'une ballade sur la lagune, nous avions décidé de déjeuner à Torcello. Après le café, laissant mes compagnons lézarder au soleil, j'avais rendu visite à l'antiquaire. Le coffret avait changé de place, mais je le reconnus tout de suite. Quelques minutes et négociations plus tard, je repartais vers notre barque, le coffret sous le bras. Il est ainsi des objets qui semblent choisir leur destinée et attendent leur heure pour partager votre vie... D'autres l'ont dit mieux que moi.

12 avril 2007

Venise, sans commentaire

copyright Andrea Grigolo - 2007
C'est à chaque fois pareil. encore plus douloureux au fur et à mesure du temps qui passe, quand il faut partir. Ranger, nettoyer, fermer les volets, attendre Graziella pour vérifier qu'elle emportera bien les provisions qui restent dans le frigo, lui rendre son aspirateur parce que le notre est cassé. Penser à en acheter un autre. Puis, après un dernier regard dans la maison déjà endormie, la clé qu'on tourne dans la serrure... La rue, les bruits familiers qui ne seront bientôt plus que souvenir... Le salut amical du marchand de journaux... La journée sera chaude. Il y a déjà beaucoup de monde. En route vers Piazzale Roma. Adieu Venise, à une prochaine fois... Pourquoi faut-il toujours que je reparte. C'est la même tristesse qui me prend aux tripes depuis vingt ans. Mes enfants sont eux aussi contaminés et de belle manière ! Ils aimeraient que nous abandonnions tout pour vivre ici. Même le chat semble attendre ma décision, l'air de dire "nous serions si bien ici tous ensemble !". Au lieu de ça, des allers et retours perpétuels, sorte de nomadisme figé entre Venise et la France. Question d'organisation matérielle oblige. Mais pour atténuer notre peine, à chaque fois un détail, une image qui nous rappelle que notre exil n'est que temporaire et que bientôt, très bientôt, nous serons de retour ! Hauts les cœurs, nous reviendrons vite !

11 avril 2007

Matinales

8h35, ce mercredi matin. Le silence du petit jour se remplit peu à peu de ce qui n'est encore qu'un assemblage de sons disparates et lointains. La voisine déroule le fil sur lequel son linge va sécher et la poulie grince un peu, dans le jardin les oiseaux fêtent le soleil. Dans la rue, un jeune livreur se dépêche "permesso, permesso" lance-t-il aux passants qui discutent devant la vitrine du libraire. Aux sons se mêlent peu à peu des senteurs qui me ravissent : l'odeur du linge propre qui sèche au soleil, la glycine qui commence à faner, le jasmin juste sous ma fenêtre qui sera splendide cette année et, toujours présent, le parfum si particulier, comme un mélange d'herbe et d'eau, de prairie de de sable, qui domine et pourtant se fait à peine perceptible. C'est la singulière odeur de la lagune, à la fois odeur de port et de marée, si particulière aux premières chaleurs et qui demeure pour moi le symbole de la douce vie vénitienne. 

Un jeune merle chante sur la margelle du puits dans la petite cour devant ma chambre. Il va faire chaud. Ce sera bien. Nul mouvement dans la maison. Les enfants dorment encore. Déjà les rayons du soleil éclairent la chambre et font danser la poussière à travers les persiennes. Il faudra les repeindre cet été. Tout à l'heure, nous prendrons le petit déjeuner sur la terrasse. Rien que de très banal, un peu de musique, du thé chaud, des muffins et du pain grillé - un pain de mie que nous avons cuit nous-mêmes !-, la sempiternelle gelée de coings et Nutella pour les gourmands. Pas de projet précis aujourd'hui. Quelques emplettes chez Billa, des fleurs à Sta Margherita. Peut-être une virée en barque mais le moteur a des problèmes. Envie de ne rien faire. Rester ainsi, comme engourdi à s'imprégner des milles sensations, regarder l'eau des canaux qui brille sous le soleil, observer les passants à la terrasse d'un café, errer dans les couloirs du Musée Correr ou dans les salles de la Ca'Rezzonico voisine. Préparer le repas. Un gâteau ou des scones pour le thé. Bouquiner, dessiner, écrire. 

Puis ce soir la passeggiata. Une vie tranquille où le temps passe joyeusement et sans heurt. C'est le miracle de la vie vénitienne. On peut ici s'empoigner, se lancer des bordées d'injures et soudain réconciliés, aller boire un verre à la lumière des lampions d'une petite osteria, comme du temps de Goldoni. L'air de Venise a le pouvoir d'anéantir ce qui est le quotidien de tous les citadins du monde. Ici pas de stress, de hargne, de nervosité. Pas de mollesse non plus comme on en ressent forcément de l'autre côté de la Méditerranée. Les vénitiens sont des ardents. Peuple actif et conquérant, ils sont imbibés de cet air unique aux parfums si particuliers qui apaise et ravit. Il faut séjourner souvent à Venise pour comprendre cela. Le vrai (et merveilleux) poison de Venise, pour reprendre une expression de Maurice Barrès, c'est cela, "la respiration de la magicienne endormie et le vivant soupir de la beauté" disait Henri de Régnier.

10 avril 2007

Comment devenir bon vénitien en quelques leçons

"[... ]Chaque calle a son nom inscrit avec souvent l'indication du quartier, sestiere, et de la paroisse, parrochia, mais ces indications ne suffiraient pas pour s'y diriger. Il faut se laisser aller à une sorte d'instinct que l'on acquiert bientôt. A Venise, les voies directes sont rares ; on ne se rend d'un point à un autre qu'à travers un entrelacement de calli à peu près semblables, qu'elles soient qualifiées de via, de strada, de salizzada, de ruga, de rughetta, où soient dénommées rio terrà parce qu'elles occupent l'emplacement d'anciens canaux désséchés ; mais aussi quel plaisir de croire s'égarer en cette pittoresque diversité, de traverser un vaste campo ou un petit campiello, de passer sous un sottoportico, de suivre une fondamenta, de s'engager dans un ramo, qui nous ramène au même point, dans une corte ou un cortile sans issue, ou d'aboutir à un rio transversal qui vous barre la route et vousoblige à revenir sur vos pas, tandis que quelques polissons ou quelque commère vous crie narquoisement : "Acqua, acqua ![...]"

Tout est dit. Henri de Régnier a écrit ces lignes en 1899. Venise en ce temps-là demeurait une cité marquée par l'abandon qui suivit le départ des autrichiens et les débuts de l'unité italienne. Devenue simple ville de province, elle voyait peu à peu s'écailler les vestiges de sa splendeur et la misère y était grande. Pas encore redynamisée par les usines voulues par le Comte Volpi, Venise dépérissait. Il y avait pourtant plus de 100.000 habitants encore à cette époque là. Derrière les volets disloqués, dans les cours aux crépis écaillés, une foule de pauvres gens essayait de survivre, pêcheurs, facchini, ouvriers des quelques manufactures encore en action, domestiques. Leurs enfants qui allaient nu-pieds, les guenilles rapiécées qui pendaient au fil tendus le long des rues, tous les mendiants rencontrés sur les ponts et les campi, ces façades sculptées de lézardes qui devenaient pittoresques au soleil de l'Adriatique, tout cet aspect misérable et somptueux à la fois allait bientôt fournir la matière à cette idée qui se généralisera vite d'une Venise mortifère et lugubrement romantique. Cette Venise où viendra mourir le Professeur Von Aschenbach, où des légions d'invertis se rejoindront pour vivre leur déchirante ambivalence longtemps avant que la libération des mœurs leur permette de s'afficher à San Francisco, Ibiza ou Mykonos.

Henri de Régnier décrit cette Venise dont on me parlait dans la famille. Une ville remplie de pauvres gens vivant dans des masures infectées d'humidité où l'insalubrité se répandait suite à l'inertie du gouvernement italien qui ne faisait rien pour la cité, abandonnée par une bonne partie de son aristocratie trop intéressée à servir la nouvelle monarchie et être admise à la cour du petit roi Victor-Emmanuel de Savoie devenu, par la grâce de Napoléon III et du monde progressiste, le premier roi d'Italie.

Mais revenons à notre propos : être bon vénitien, c'est savoir vivre au rythme des vénitiens. Je l'ai déjà écrit cent fois. C'est aussi respecter le mode de vie pratiqué ici. cela sous-entend de se faire le plus discret possible. Deux avantages : contribuer à garder à la vie vénitienne le plus d'authenticité possible et en vous faisant oublier éviter de vous faire arnaquer... C'est vrai que l'idéal serait de ne parler qu'italien mais on ne peut pas obliger un touriste de passage à apprendre à chaque voyage la langue du pays où il se rend. Un minimum cependant me parait nécessaire comme la preuve d'une exquise politesse, un savoir-vivre qui montre le respect qu'on a pour l'autochtone dont on foule le sol. Savoir dire "bonjour, merci, pardon, excusez-moi" et le sésame "pardonnez-moi, je ne parle pas l'italien (ou le serbo-croate) puis-je parler en français ?". Cette marque de respect forcera toujours la bienveillance de votre interlocuteur.