14 juin 2008

... ou comme un rêve.

Peut-être que toutes les bonnes volontés se réveilleront et qu'on en finira avec les décisions imposées par Rome ou Bruxelles. Des femmes et des hommes réaliseront qu'il n'y a rien à attendre des institutions, figées dans des principes et des théories dont l'intérêt du citoyen est désormais exclu et qui ne sont régis que par des intérêts bassement financiers.
 
Ceux-là sauront prendre dans toutes les organisations politiques et syndicales, dans les comités de quartier et les associations, dans tous ces mouvements qui naissent et veulent agir pour sauver Venise et la vie à Venise. Ils parviendront à convaincre les propriétaires - nombreux le sont eux-mêmes - de renoncer à des profits immédiats pour envisager le long-terme qui est fait de civisme et de sens politique. En maintenant les loyers en l'état, en permettant aux vénitiens de louer leurs logements plutôt que de les transformer en chambres d'hôtes ou en hôtels de luxe, en favorisant le maintien ou le retour de ces commerces de proximité sans lesquelles il n'y a pas de vie sociale, en ouvrant la ville sur le monde sans renoncer à sa spécificité et à son caractère... Ils sauront persuader sans contraindre car à la passeggiata, devant un spritz ou un birrino, il est plus facile de convaincre. 
 
Unis par leur langue, par leur amour des lieux, leur naturelle bienveillance, ils réussiront là où les politiques n'ont pas réussi, sans contingenter le nombre de visiteurs, ils sauront l'aiguiller, le diviser par des aménagements spécifiques : les plages de l'Adriatique peuvent attirer bien davantage de monde et si Disney cherchait à s'implanter dans le centre historique plus ou moins directement, ils auront l'idée d'ouvrir des espaces ludiques où l'image que le touriste se fait de Venise sera à sa portée sans risquer d'endommager le patrimoine historique réel de la ville. 21 millions de visiteurs chaque année face à 150.000 habitants cela ne serait-il pas plus tolérable que ces mêmes millions face à 60.000 indigènes ?

2 commentaires :

Gérard a dit…

" .. Sa parfaite dignité de vie, son sentiment de l'honneur, sa modération, sa clémence et son humanité, ses qualités de juriste, non moins remarquables que ses vertus chevaleresques, cette haute sagesse, cette loyauté avisée, cette fleur de courtoisie, cette éloquence ferme et fine (...) font de lui le type même du « prudhomme », c'est-à-dire du parfait chevalier selon la définition de Saint Louis, et le représentant le plus accompli de la civilisation française en Orient au treizième siècle. "
Il y eut jadis un temps pour la guerre .
C'était hier .
Aujourd'hui , il nous semble que celui appelant la culture rassemblée , bref la courtoisie , est bel et bien venu .
Quand vont-ils comprendre ?
Jamais !
Ce sont des Rustres !
Continuons quand même .
Sans cesse .

Lorenzo a dit…

Demain comme un cauchemar...

Je me doutais que le précédent billet attirerait de nombreux commentaires. On ne peut en effet rester sans réaction devant cette terrible actualité qui pousse les vénitiens à se roidir devant l'inanité des programmes d'aménagement mis en place par les autorités, que les idées viennent de Rome (ce qui est de plus en plus mal accepté) ou de responsables plus proches du problème (à priori) comme le président de la région ou le maire. 
 
Ce dernier est un philosophe, ne l'oublions pas. Sa vision de la gestion, l'animation de la Res Publica passe chez lui par un prisme qu'on pourrait croire délivré de ces calculs bassement politiques que les politiques semblent assimiler à la politique. Pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots... La gestion et l'organisation de la vie de la cité ne devraient n'avoir jamais que l'intérêt du citoyen pour motif et pour objectif. Dans la réalité quotidienne - et ce depuis toujours - des critères de parti, de classe, de famille l'emportent sur l'intérêt général. Massimo Cacciari semblait vouloir apporter une gestion nouvelle, modèle même. Il est hélas empêtré dans des calculs de voix, des questions d'intérêts généraux qui ressemblent aux intérêts de grands groupes ou de familles politiques. Bref, il n'a pas pu - ou su - échapper à la politique politicienne et au jeu des interférences et des influences. Le résultat c'est une ville mourante, où le citoyen de base n'a plus la possibilité de se loger, de se nourrir ni de travailler sauf à abandonner les lieux traditionnels dans lesquels sa famille a toujours vécu : plus d'épicerie ni de boulangerie à proximité, moins d'écoles, bientôt plus de maternité. des loyers qui sont régulièrement multipliés par trois ou quatre, sans que l'Etat ne souhaite intervenir - logique impitoyable du libéralisme - et il est contraint de partir vers Mestre. Ou pire, vers Marghera, là où le sol, l'air et l'eau sont imbibés de poison pour de nombreux siècles...

C'est pour cela que je dis et redis que Venise et son avenir sont l'image de ce que sera l'avenir de notre continent, voire de l'humanité. Tant pis si l'on me prend pour un pessimiste imbécile. Ce que nous saurons faire pour sauver Venise et sauver sa vraie vie quotidienne - il ne s'agit pas vous le comprendrez de la vie des touristes, des pigeons de la place (les vrais, ceux à plume pas ceux qu'on plume!) et des vendeurs de souvenirs de pacotille made in Taïwan - nous saurons le réaliser partout ailleurs.

Regardez cette photo incroyable. Le paquebot qui ressemble à un gratte-ciel surplombe la ville. Son tirant d'eau est énorme et pourtant il a pu accoster devant le quai des Esclavons. On peut imaginer le mouvement des eaux, les flux souterrains qui sont venus heurter les fondations des quais et plus loin des immeubles dont une grande partie à cet endroit est construite sur pilotis comme du côté du Rialto. C'est bien le symbole d'une époque où le "tout profit" et la culture de masse affrontent ce monde très spécifiquement à l'échelle humaine dont Venise, avec son écosystème et son organisation urbaine, est le dernier symbole vivant. 
 
Cette image me fait horreur. Elle impressionne certes dans le sens où elle marque le spectateur. Moi, elle me fait peur. Prions pour que nous ne voyons jamais Venise d'aussi haut, comme submergée, magnifiée par le souvenir qu'on en aurait. Une Venise qu'on apercevrait par beau temps, quand la mer est calme et dont les ruines surgiraient sous les eaux entre des bancs d'algue. "Mesdames, messieurs, à votre droite, comme si vous y étiez, vingt mètres plus bas au fond de l'eau si claire parce que le détergent créé par la société SeaBright Inc. a permis de la débarrasser de tout ce qui aurait pu gêner votre vision, vous apercevez les bulbes de la basilique san Marco. A 16 heures vous pourrez y admirer le ballet des dauphins offert par Disney et le consortium des casinos de Las Vegas." annonceraient les hauts-parleurs des bateaux. En anglais et en chinois bien entendu... 
 

5 commentaires:

IL GATTO DEL RABBINO a dit…

J'ai vu, à Venise, un camion semi-remorque sur une barge ravitailler (en je ne sais en quoi) un tel monstre des mers. C'était une image incroyable : le semi-remorque me donnait l'impression d'être un petit camion jouet qui allait tenir dans ma main.

Anonyme a dit…

C'est la seule image de Venise que je ne peut pas aimer ... quelle distance!

Jaio a dit…

Inimaginable...Et le maire est un philosophe?

Anonyme a dit…

"Venise et son avenir sont l'image de ce que sera l'avenir de notre continent, voire de l'humanité" : une analyse tout à fait pertinente.

Mehdi a dit…

"critère de classe" ? Seriez vous secrêtement communiste, Lorenzo ?
Image déplorable du reste. A première vue, j'ai pensé à un immeuble .

13 juin 2008

Venise n'est pas un décor sans vie. Ne la laissons pas mourir !

En janvier 2007, j'écrivais un article en réaction à la soirée du réveillon qui avait été un énorme succès pour la municipalité avec plus de 60.000 personnes réunies sur la piazza à minuit. Cette foule représentait en fait l'équivalent de la population actuelle de Venise... Le quart de ce que fut la population de Venise au XVIIIe siècle. En écoutant l'autre jour des vénitiens dans le vaporetto qui se plaignaient des commerces qui disparaissent, des écoles qui ferment et des immeubles qui se vident au profit de résidences de luxe pour touristes, j'ai eu envie de ré-éditer ce billet au risque de lasser. Mais il est important que le monde entier prenne conscience du problème de Venise au moment où une pétition circule qui a pour titre "Venezia non é un albergo" (Venise n'est pas une auberge". Barrès lui-même quand il disait de la Sérénissime "Venise auberge de rois, auberge de fous" ne pouvait imaginer dans quelle situation la ville se retrouverait en ce début du XXIe siècle.
.
Tous les habitants de Venise peuvent maintenant se réunir sur la Piazza. Lorsque j’étais étudiant, le nombre d’habitants du centre historique venait de descendre à 80.000 habitants. Cent ans avant, du temps de mes grands parents, il y avait plus de 120.000 habitants. Je crois que les troupes napoléoniennes pénétrèrent dans une Venise peuplée de près de 200.000 personnes… 62.000 habitants au 1er janvier 2007... Et ce phénomène va se poursuivre puisque les spécialistes prévoient moins de 60.000 habitants en 2010 ! Les causes sont multiples : logements trop chers ou insalubres, vie quotidienne devenue trop chère, de moins en moins d’emploi en dehors des métiers – certes honorables – de serveur, de porteur de bagages ou de vendeur de souvenirs. Trente fois moins de boulangeries, de boucheries, de merceries, de papeteries, de drogueries et de quincaillerie qu’il y a trente ans ! C'est pareil partout me direz-vous, mais ici c'est encore plus visible et dramatiuqe... Cent fois plus de boutiques à touristes… Et des masses de plus en plus nombreuses déferlant sur la ville. Terrible constat. L’agonie sera longue et pénible...
.
Mais, en dépit des hordes qu’on ne peut plus arrêter, nombreux sont ceux qui cherchent des solutions ou du moins des aménagements. C’est ainsi que les monuments comme les musées peu à peu s’aménagent pour accueillir ces hordes sans trop de dommage. C’est ainsi que la municipalité cherche le moyen de réguler la transformation des logements en chambre d’hôtes et autres studios loués aux étrangers. Mais comment freiner l’exode des administrations, des entreprises du tertiaire qui avaient leur siège - ô combien prestigieux - à Venise ? Le développement industriel s’il a pu pallier une grande partie du problème de l’emploi au début du XXe siècle a apporté tellement de nuisances qu’il n’est pas envisageable, surtout dans le contexte actuel de la mondialisation, de le redéployer. Attirer des entreprises quand la plupart s’en vont ? Ce qui attire ce sont les palais vacants que l’on rénove et aménage pour des soirées somptueuses mais qui n’apportent rien à la ville que la préservation de ses monuments. Cacciari mise sur l’art contemporain et la création… Pourquoi pas, mais on flirte toujours ainsi avec la calcification de la Cité des Doges : musée ou laboratoire de création, ce n’est pas ce qui fait vivre une ville et rouvrira boucheries et épiceries…
.
Égoïstement, nous qui avons la chance extraordinaire de pouvoir nous rendre souvent à Venise, d’y avoir un logement, des amis, des habitudes, nous cherchons à préserver notre ville et c’est parfois au détriment des vénitiens eux-mêmes et de la ville après tout. Plus nombreux seront les étrangers à choisir de vivre quelques mois dans l’année à Venise, à louer ou à acheter des pieds à terre ici comme d’autres sur la Côte d’Azur ou en Dordogne, plus difficile sera la recherche de logements pour les vénitiens de souche. Le problème ne se pose qu’avec ceux qui comme moi vont et viennent, s’installent quelques semaines et repartent. Le reste du temps la maison est vide ou au mieux prêtée à des amis ou louée… Si au moins nous vivions toute l’année à Venise… Peut-être faudrait-il encourager les forestieri à rester toute l’année. Après tout, le climat est très bon à Venise. Peu de pollution, une vie calme, les attraits d’une grande ville et d’un village en même temps. En Périgord, des villages ont repris vie grâce aux nouveaux colons britanniques ou hollandais. Cela ne s’est jamais fait sans grincement de dents mais au moins les maisons sont restaurées, occupées, les écoles rouvertes, des magasins apparaissent là où il fallait prendre sa voiture et faire trente kilomètres pour trouver un supermarché… On pourrait envisager l’obligation pour l’étranger d’apprendre le vénitien et de suivre des cours de vie vénitienne… On pourrait imposer un quota d’artistes, d’écrivains, de créateurs et de simples retraités amoureux de la ville pour ne pas en faire une sorte de Greenwich village artificiel, ghetto de vieillards ou d’artistes argentés… Et puis, il faut briser le globe sous lequel on a enfermé la ville. Depuis sa création, elle a bougé, elle s’est reconstruite, transformée, agrandie… Construisons là ou il y a de la place - et il y en a - laissons aux jeunes architectes italiens, (Venise en regorge), la possibilité de s’exprimer et d’innover en partant des contingences locales certes très prégnantes mais nécessaires à respecter pour que se pérennise l’idée même de Venise. Le pont autrichien était déjà une aberration, alors le béton armé, la brique industrielle ou les structures de verre et de bois ne sont pas des audaces mais des conneries (pardonnez cet écart de langage).
.
La municipalité de Venise est propriétaire de nombreux bâtiments mais les aménager en logements salubres coûterait une fortune. En l’état, peu sont habitables selon les critères d’aujourd’hui. Démolissons ce qui n’a pas un caractère extraordinaire et majeur pour le patrimoine de l’humanité. Il y a des friches à Venise, des îles vides, des terrains vagues. Ne les laissons pas aux spéculateurs de Las Vegas ou de Disney Corporation. Plus de projets d’hôtels de trop grand luxe pour happy few asiatiques ou américains. Offrons des logements locatifs abordables et les familles reviendront, les écoles rouvriront, les commerces réapparaîtront. A l’ère de l’ultra technologique pourquoi ne pas délocaliser à Venise ? Un statut spécial pour les entreprises italiennes ou étrangères créatrices d’emploi (je ne sais quelle est la marge de manœuvre de la municipalité et de la région en Italie en matière de taxes et d’imposition, mais je sais que n’importe quelle entreprise qui se verrait offrir 50, 100 ou 200 logements gratis en échange de l’implantation d’une unité de production ou de bureaux administratifs y réfléchirait à deux fois). Avoir son siège à Venise, pouvoir loger ses employés à moindre frais, qui n’en voudrait pas ? Mais je ne suis ni un élu, ni un économiste et mes idées sont peut-être naïves.
.
Je vois seulement quand je passe dans les rues combien la ville change. Rien qu’en sortant de chez moi pour aller acheter le journal quand j’habitais Cannareggio, Calle del’Aseo, derrière le Cinéma Italia, et que le kiosque de la Lista di Spagna était fermé, je partais vers la gare, je passais devant trois coiffeurs, une quincaillerie, un droguiste, cinq épiciers, deux marchands de fruits et légumes, trois boulangeries, une mercerie, deux bouchers, un charcutier, quatre boulangers, un marchande de jouets, deux buralistes (ils vendaient encore du sel à cette époque), un serrurier, deux drapiers, un marchande de bonbons, un grand magasin Standa, quatre pharmacies, un nombre incalculable de petits bars avec des stands de Totocalcio, un réparateur de radios et télévisions, un négoce de vaisselle et d’articles ménagers, une salle des vente, six restaurants, un libraire, deux antiquaires, un parfumeur, un ébéniste, un plombier, trois bijoutiers, deux pressings, et des magasins de vêtements. Il y avait certes déjà un marchand de gravures et deux boutiques de souvenirs… L’énumération est fastidieuse, je sais, mais je voudrais faire comprendre à celui qui découvre Venise aujourd’hui combien il est triste de se promener dans des rues figées dans un passé artificiel, vides de leurs commerces ou remplies de boutiques attrape gogos Made in Taïwan. Imaginez combien les rues étaient bruissantes, les conversations animées, la vie bouillonnante partout, et cela depuis un millenaire… Aucune nostalgie dans ces lignes, je rêve seulement que la vie revienne dans ces rues et sur ces campi autrement qu’artificiellement avec des carnavals populaires et des fêtes de luxe pour happy few.

Il faut des enfants qui courent et nous bousculent, des vieux qui discutent assis au soleil, des marchands qui apostrophent les ménagères pour faire remarquer la beauté de leurs fruits et de leurs légumes venus des îles de la lagune, des pêcheurs qui offrent le produit de leur pêche, des livreurs qui se faufilent en criant gare… Même le touriste s’en trouvera bien, rien de tel que la vraie vie pour marquer un voyage non ? Allez du côté du marché du Rialto un matin vers 11 heures ou bien à Castello, sur la Viale Garibaldi, devant Santi Apostoli, et la vie qui fuse sous vos yeux dans ces endroits, c’est la vie et l’animation qu’on pouvait trouver partout dans Venise autrefois. De même à l’heure de la passeggiata, à San Luca ou à San Bartolomeo, les campi étaient noirs de gens, tous ou presque avaient moins de vingt ans. A Santo Stefano leurs aînés se retrouvaient, étudiants plus âgés, jeunes ménages. Les familles sortaient à San Polo, Santa Maria Formosa, ailleurs encore. Une foule innombrable sortait des maisons et se retrouvait dans un brouhaha tellement chaleureux que le plus agoraphobe d’entre vous se serait senti comme seul avec des amis ou en famille… La passeggiata existe encore bien sûr, mais évidemment les figurants sont moins nombreux. La production n’a plus les mêmes moyens. Imaginez ce que cela sera lorsqu’on ouvrira le matin les portes de Venise aux hordes... De vrais figurants ceux-là se mettront en place et comme dans une sorte d'écomusée, singeront les gestes de leurs ancêtres : gondoliers, souffleurs de verre, marins, provéditeurs et conseillers en toge, mitrons portant sur leur tête les paniers remplis de croissants fumants, les lavandières avec leur panières de linge, les étudiants leurs livres sous le bras. On peut imaginer à certaines heures, comme la relève de la garde devant Buckingham Palace, des sortes de ballets comme Broadway ou Las Vegas savent en créer : gondoliers regagnant leur gondole, apprentis et serveuses, étudiants et religieuses qui s’agiteront en musique sous le crépitement des flashes des hordes qui en auront pour leur argent. Allez, ne vous en faites pas Venise-disneyland , cela pourrait ne pas être dans très longtemps. Parfois, je prie pour qu’Al Gore se soit trompé et que la montée des eaux arrive pour demain et qu’on en finisse avec ce cauchemar !
..
Mais soyons résolument optimistes, les autorités cherchent des solutions et parfois proposent de bonnes choses. Les Mulini Stucky qui seront à la fois un hôtel de luxe et des logements sociaux, l'arsenal réorganisé et réexploité, la venue de la collection Pinault au Palais Grassi, d'autres projets de qualité qui créeront des emplois ailleurs que dans le tourisme... Et puis que diable, Venise reste toujours aussi belle et les jeunes qui s'en éloignent sont remplacés par de jeunes vénitiens d'adoption qui la découvrent : visiteurs ébahis, étudiants déterminés, certains resteront et formeront la Venise de demain. Je suis certain que tous, vénitiens d'adoption ou de souche, ils refuseront de devenir des sortes d'indiens dans une réserve, imbibés d'alcool et d'ennui ! Quant aux touristes, ils ne seront plus une horde de consommateurs ignares et pressés, mais des voyageurs informés et bien élevés dont l'émerveillement sera teinté de respect et de sollicitude.

_____

15 commentaires:

anita a dit…

.... coup de gueule ????
....coup de sang ... coup de chaud ... coup de chair ... coup de coeur blessé qui ( nous ) angoisse et reprend son rythme ... mais ouf ! quelle peur !

anita

Douille a dit…

Un très bel article!!! Une belle analyse!

Même si je ne suis pas fan d'art moderne (mais je ne crache pas dessus) je pense que c'est peut-être le salut de Venise...

Anonyme a dit…

Bonjour Lorenzo ... et encore bravo et merci pour ce blog passionnant.
Par curiosité, est-ce que vous avez une idée du pourcentage d'étrangers qui composent la population résidente de Venise, quelle est la nationalité qui domine et que représente la communauté Française la-dedans ? Et quelle est la sociologie de cette communauté: étudiants, actifs, retraités ...?

Lorenzo a dit…

Je me penche sur la question et vous donne bientôt un tableau des étrangers à Venise.

Anonyme a dit…

Merci beaucoup ...
Olivier

Maité a dit…

y-a-t'il réellement des logements sociaux aux mulini stucky, quand j'y suis allée le mois dernier, il me semble que ce n'était que l'hôtel ? on avait même parlé d'une partie de l'université ?

Lorenzo a dit…

Une partie de l'ancienne propriété et des locaux environnants ont effectivement été aménagée en logements de type social et résidences étudiantes, mais effectivement le bâtiment principal abrite l'hôtel Hilton.

IL GATTO DEL RABBINO a dit…

Et qu'en est-il de ce projet de la municipalité vénitienne de transformer la moitié de l'arsenal qui lui appartient en Silicon Valley ?
Et comment peut-on gagner sa vie à Venise en ne vendant que des livres en français...

IL GATTO DEL RABBINO a dit…

Un truc un peut hors-sujet : la lutte anticamelote de contrefaçon s'intensifie dès demain, lundi 16 juin 2008. Des précisions là http://lubiesland.blogspot.com/2008/06/fuori.html

 
Lorenzo a dit…

A défaut de la gagner au moins avec les livres et à Venise, on le perd pas !

géraud a dit…

http://www.comune.venezia.it/flex/cm/pages/ServeBLOB.php/L/IT/IDPagina/5824
...les étrangers à Venise. La France à 257 résidents au 31/12/2007. Les résidents étrangers plus nombreux sur la commune de Venise sont les ressortisissants du bengladesh, de Roumanie, des nouvelles républiques yougoslaves, de Chine, d'Afrique...

géraud a dit…

Ce qui est intéressant est de lire que 20000 résidents n'ont pas la nationalité italienne sur le territoire de la commune non de la ville de Venise ! (environ 270000 habitants).

Lorenzo a dit…

S'il y a 257 résidents français permanents on peut compter en tout près de 1.500 français, ceux qui vont et viennent, ceux qui suivent des études sans être inscrits ni à la questure ni au consulat... Sans compter ce clochard dont j'ai oublié le nom qui est bien de nationalité française - à moins qu'il soit belge - et qui arpente la piazza, fait peur aux touristes japonaises mais n'est pas méchant bien que très souvent aviné..

géraud a dit…

Je pense aussi dans ses proportions le nombre de français non inscrits ayant un appartement/palais etc à Venise équivaut à celui des français résidents.
Et les français sont le premier groupe de touriste à Venise.

Gérard a dit…

Al Gore se trompe . Aucun bon sens paysan de sa part . Venise ne risque rien . J'suis plutôt optimiste . Et puis , il y a quelque chose de tout juste perceptible , quelque chose de vraiment miraculeux qui rôde dans cette cité . Comme si il fallait qu'elle soit épargnée . Elle s'en sortira toujours .

12 juin 2008

Venise au quotidien

Au risque de me répéter encore et encore, c'est au quotidien le plus simple, le plus courant, qu'on peut le mieux se pénétrer de l'esprit de Venise. Au petit matin, quand la ville encore endormie est livrée aux balayeurs, quand les mariniers amènent au Rialto les vivres dont le marché débordera quelques heures plus tard. Les premiers cafés remontent leur grille. Quelques volets s'ouvrent laissant apparaître un instant des visages mal réveillés... Dans la vaporetto, le capitaine lit le Gazzettino. Il fait encore frais. Les passagers, comme partout ailleurs dans les petits matins du monde des villes, semblent à peine émerger de leurs rêves. Des odeurs d'après-rasage et de poudre de riz se mêlent aux parfums de la lagune. C'est le matin à Venise. Les touristes dorment encore. Les enfants se préparent pour l'école. Odeurs de café et de brioches. Les cloches qui sonnent mettent un peu de gaieté dans cette routine qui ailleurs pourrait sembler pesante et qui prend ici un aspect magique. A cause de l'eau, à cause des lieux...

1 commentaire:

Maité a dit…

J'ai eu l'occasion de traverser le canale di Santa Marta vers 5h du matin et j'ai découvert une vraie ruche ; le contraste était fort entre le calme absolu de la ville et cet endroit grouillant de camions qui déchargaient des tonnes de marchandises en tout genre, afin que Venise vive son quotidien. A presto

10 juin 2008

Biblioteca venetiana (1)

Tant d'ouvrages existent qui ont pour thème Venise, sa civilisation et son histoire. Les recenser serait une tâche herculéenne à laquelle je m'étais attelé dans mon adolescence et que j'ai tout abandonné après plusieurs semaines de travail. Il faut dire qu'il n'y avait pas alors le soutien de l'informatique, des sources de données et des tableurs. Des anthologies existent cependant aujourd'hui et de nombreuses bibliographies paraissent souvent très complètes. Je ne vais donc pas en rajouter. Je voudrais plutôt citer quelques ouvrages difficiles à trouver qui m'ont paru intéressants, sympathiques ou utiles à ceux qui aiment Venise.

C'est le cas d'un ouvrage que je cherchais depuis de nombreuses années et dont j'ai fini par dénicher un exemplaire dans le catalogue d"un libraire transalpin. Il date de 1706 et vient juste d'arriver sur mon bureau. Imaginez un peu ma joie quand le facteur a sonné l'autre matin, un petit paquet à la main. Bien emballé, le livre tardait à se montrer. J'étais impatient. Un petit ouvrage qui tient dans la main, un de ces in-12 que les typographes hollandais avaient inventé au XVIIe. 
 
Mon exemplaire lui, ce petit trésor que j'ai tellement cherché, est né à Venise même, chez le maître imprimeur Battista Tramontin. Il se vendait en exclusivité à la librairie de Giuseppe Rovinetti, à l'enseigne de «la Vérité» sur le ponte de Beretarri. Il s'agit du fameux «Guida dei Forestieri per osservare il più ragguardevole nelle città di Venezia» (Guide des Etrangers pour observer les choses les plus intéressantes de la ville de Venise) écrit par le célèbre moine Vicenzo Coronelli, l'inventeur de ces globes magnifiques qu'on voit encore aujourd'hui dans la bibliothèque du roi à Versailles, à la Bibliothèque Nationale ou au Palais des doges. 
 
Mon exemplaire L'ouvrage a été souvent manipulé, le papier n'est pas d'une qualité fabuleuse et la reliure d'origine en carton, n'a pas de dos. Il est dans son jus comme disent les marchands. Mais quel jus ! Imaginer combien de personnes s'en sont servi pour cheminer dans les rues de la cité est très émouvant. 
 
A la fin, l'éditeur a placé le catalogue des œuvres de l'auteur et la liste des globes Mon exemplaire disponibles... Vicenzo Coronelli, bouillant moine franciscain, cosmographe officiel de la Sérénissime avait eu l'idée, dès 1697, de composer un plan topographique détaillé (repris en fait du plan dessiné en 1627 par Alessandro Badoer). Il le publie par l'intermédiaire de l'imprimeur Tramontin, dans ce "Guida dei Forestieri", premier guide de Venise pour les étrangers, enrichi de ce superbe plan qui devait servir "per passeggiarla in gondola e per terra" (pour se promener en gondole ou à pied). L'ouvrage eut beaucoup de succès et on le trouvera dans les meilleures bibliothèques de l'époque. 
 
L'ambassadeur de France en tenait des exemplaires à disposition des visiteurs de marque qui venaient découvrir la Sérénissime. Plus tard, même Mesdames, les filles très cultivées du roi Louis XV l'auront dans leur bibliothèque. Devant le succès de ses ouvrages, l'auteur montera dans les années suivantes la fameuse Accademia degli Argonauti, société savante et maison d'édition dont les presses seront installées dans le couvent Santa Maria Gloriosa dei Frari, devenu depuis un des bâtiments des Archives de l'Etat de Venise
 
C'est un tout petit ouvrage mais qui contient de très riches informations. S'il indique comme tous les guides d'aujourd'hui (mais très brièvement) les meilleurs endroits où loger et se nourrir, il décrit surtout la ville, ses monuments, en détaillant les endroits où voir les peintures les plus marquantes, dans quelle église rencontrer tel musicien, tel organiste. Coronelli donne de nombreux renseignements statistiques qui permettent de se faire une idée très détaillée de la vie dans la Venise de l'époque, parvenue à l'apogée de sa puissance et de sa fortune mais amorçant déjà son déclin.
________

2 commentaires:

Anonyme a dit…

e la pianta ce l'hai ?

Lorenzo a dit…

Sfortunatamente, no. Mais je viens d'en repérer un exemplaire dans une librairie américaine sur le net. A suivre donc ! Au passage, il faut noter qu'aucun des exemplaires répertoriés dans les grandes bibliothèques comme la BN à Paris n'ont l'ouvrage avec la carte. Seul un exemplaire de la fin du XVIIe à la Marciana en possède une...

09 juin 2008

Anch'il mar par che sommerga

Un petit cadeau pour les Amoureux et Fous de Venise, de la musique en général et de Vivaldi en particulier : la carissima Cecilia Bartoli dans un air de Bajazet (Tamerlan), "Tragedia per musica", composée en grande partie de pastiches par Vivaldi qui s'est servi d'airs plus ou moins oubliés aujourd'hui de Hasse, Giacomelli, Porpora et Broschi, à l'occasion du carnaval de 1735 (l'oeuvre fut donnée la première fois au Filarmonico de Vérone) sur un livret de Piovene. A moins qu'il s'agisse de Goldoni, je ne sais plus très bien. Dans tous les cas, il émane de cette interprétation parfois décriée, tout ce qui caractérise la musique de Vivaldi et la musique à Venise !

7 commentaires:

Martine a dit…

Flamboyante, ardente, lumineuse Bartoli ! Tellement en adéquation avec la "furia" vivaldienne.
A l'écouter, il semble que Vivaldi ait voulu explorer toutes les possibilités de la voix humaine. J'imagine la difficulté de chanter ses arias dans lesquels il y a pléthore de passages virtuoses, tellement contrastés, aux nuances très grandes et très rapides... Une véritable prouesse.

Gérard a dit…

Terrible ! Le lieu ? Paris ? Et ça va faire trois siècles, pour cette musique . Quelle valeur !

Anonyme a dit…

Merci - Maité

Lorenzo a dit…

C'est un extrait de son DVD dont je vais vous reparler. L'enregistrement a été fait à Paris en effet.

lavinie a dit…

Elle a été aphone pendant combien de mois suite à ce concert?
Elle est vraiment incroyable, surtout pour cet air à la limite du physiquement possible...
Sinon, j'ai découvert il y a peu Sandrine Piau dans le In Furore Justissimae Irae de Vivaldi, et elle a elle aussi une voix et une énergie incroyable: http://fr.youtube.com/watch?v=jdZDZEx-aE0&feature=related
(j'ai collé le lien, je ne sais pas si ça va aller...)

lavinie a dit…

youpi! ça joue!

Lorenzo a dit…

Merci c'est effectivement très beau bien que là aussi on rencontre de nombreuses critiques parmi les amateurs de chant lyrique...

Cette petite musique qui nous suit et parfois nous oriente

 

Quand par la douceur d'un après-midi de juin, sous un soleil encore doux avec un ciel sans nuage, le promeneur va par les calle et les campi, c'est une sonate pour violon de Bach que j'entends presque autant que les mandolines où les flûtes de Vivaldi. Je pense à la 3e suite française interprétées par Davitt Moroney, ou à la 2e sonate BWV 1015, dont le rythme correspond aux pas du visiteur paisible et heureux qui perçoit avec tout son corps les milliers de sensations que peut offrir Venise au quotidien : bruits et odeurs, détails insignifiants d'un reflet, une couleur ou trésors architecturaux découverts au détour d'une rue. C'est ainsi qu'il faut partir à la rencontre de la Sérénissime, sans but précis, sans guide ni plan, avec ce genre de musique dans la tête (la technique moderne nous facilite grandement les choses avec les walk-man et autres Ipod sophistiqués). Aller sans idées précises, l'esprit vide, prêt à se remplir de ces mille impressions spontanées qui font les vrais souvenirs de voyage. Se perdre, s'arrêter souvent, prendre le temps de tout percevoir. Comme lorsqu'on écoute des musiciens pendant un concert. Bonne journée.

 
 
 
 

_______

2 commentaires:

Anonyme a dit…

c'est toujours un vrai délice de se promener avec vous Lorenzo grâce à votre site Venise me manque un peu moins ou bien d'une manière différente. Je patiente avant mon prochain séjour cet été. Y serez vous ?

Pascale Magnin a dit…

Lorenzo,
difficile de s'exprimer sur Venise,difficile de décrire cette allégresse, ces bulles de champagne... mieux que vous ne le faîtes...!

08 juin 2008

En passant par San Rocco

Nul ne peut se rendre à Venise sans partir un jour à la découverte des trésors de la Scuola San Rocco où sont présentés depuis leur création les chefs-d’œuvre du Tintoret, le plus grand peintre du cinquecento. On y trouve le sommet de son travail acharné.

Car le Tintoret est un monstre de travail, un hyperactif dont chacune des actions débouche sur une merveille. Il n'arrête pour ainsi dire jamais tant est grande sa soif de création, et forte son imagination. Entre 1564 et 1567, ce sont les grandes toiles de l'Albergo, entre 1576 et 1587, le cycle de la Sala Grande Superiore voit le jour et puis vient le Retable de l'Apparition de Saint Roch, qui termine la décoration de l'établissement, en 1588. Peintre du gigantisme avec ses toiles aux dimensions exceptionnelles pour l'époque, l'artiste invente d'extraordinaires compositions. Du jamais vu. Ses personnages jaillissent du néant et prennent vie à tout jamais marquant très fortement le visiteur. 
 
 
Commandes bien précises d'un cahier des charges rigoureux, ce cycle de peintures religieuses, si elles ont l'air d'exploser en une cacophonie dont l'harmonie vient du génie seul de l'artiste, n'en sont pas moins l'application rigoureuse des exigences d'un programme religieux autant que spirituel imposé par les orientations de la Contre-Réforme. Tintoret révolutionne la peinture par son inventivité et cette apparente liberté, mais il ne franchit jamais les limites imposées et c'est aussi là le génie des commanditaires : faire dire de façon ultramoderne, voire même en choquant et en bousculant, ce que Rome impose alors comme l'unique vérité. On retrouve là l'esprit vénitien pour qui tout est politique et calcul diplomatique. La Sérénissime, dans ses stratégies d'hégémonie aurait pu basculer dans le camp de la Réforme, s'en servir et l'imposer à toute une partie du monde. C'était sans compter sur la prudence des marchands qui la gouvernent. Donner au monde de l'art un témoignage puissant, indéfectible et indépassable de la Contre-Réforme était un gage offert aux puissances alliées en soutenant Rome. Tintoret, le visionnaire se fait le bras armé (d'un pinceau) de l'Église et au service des ambitions de Venise. Servi la Sainte Église Catholique, mais aussi Je suis persuadé que cela coulait de source pour lui comme pour ses commanditaires. 
 

1 commentaire:

Alexandre a dit…

Intéressant regard, sobre et cultivé. Merci.