07 avril 2012

Pietro della Vecchia, un petit maître injustement méconnu

Pietro della Vecchia, de son vrai nom Pietro Muttoni qui naquit et mourut à Venise (1603 - 1678), est un peintre aujourd'hui considéré comme mineur mais qui, principalement actif dans sa ville natale en pleine époque baroque, représentant bien cette grande école vénitienne. Élève d'Alessandro Varotari dit il Padovanino qui lui apprit la manière des grands précurseurs du XVIe siècle, notamment Titien et Giorgione. Reconnu pour l'habilité avec laquelle il reproduisit le style des maîtres du XVIe siècle, il fut aussi le spécialiste des scènes grotesques et un portraitiste réputé. Peintre officiel de la République, il fut chargé de la réalisation des cartons des mosaïques de la Basilique Saint-Marc, vaste chantier qui l'occupa tout entier de 1640 à 1673. Il épousa une femme peintre d'origine flamande, Clorinda Renieri, fille du peintre Nicolas Regnier, surtout passé à la postérité en tant que marchand d'art, avec lequel Pietro Della Vecchia entretenait des rapports d'affaires. Il repose dans l'église San Canciano où eurent lieu en septembre 1678 des funérailles d’État conduites par les plus éminents membres du Sénat.

06 avril 2012

Au hasard de nos promenades...

Connaissez-vous le Palazzo Montecuccoli ? Construite au XVème siècle dans le style de Pietro Lombardo, cette vaste bâtisse se trouve au sud du Grand Canal, non loin du pont de l'Accademia, pratiquement en face du Palazzo Franchetti. 
 
Plus connue sous le nom de Ca' Contarini dal Zaffo, l'imposante demeure est couramment appelée aujourd'hui Palazzo Polignac. Ce fut la résidence de Winnerita, Princesse de Polignac, la fille de l'homme d'affaire américain Isaac Merritt Singer, fondateur de la célèbre entreprise de machines à coudre. Sa sœur qui avait épousé le Duc Jean-Elie Decazes s'étant suicidée, elle élèvera ses neveux et leur lèguera le palais. C'est sous le 5e duc, Elie, disparu l'année dernière, arrière-petit-neveu de la Princesse de Polignac, que j'ai eu le bonheur de fréquenter cette maison tellement hospitalière qui grouillait d'amis inconnus et de visiteurs illustres. Dans l'un des premiers billets de ce blog, un lecteur anonyme m'en avait fait le reproche assez crûment alors - je racontais ces rencontres incroyables pour le jeune homme que j'étais : le vieux prince de Faucigny-Lucinge sourd comme un pot quand cela l'arrangeait qui nous racontait sa jeunesse et se moquait de son neveu par adoption, l'ancien président Giscard ("celui au nom d'emprunt" comme avait dit avec malice le Général de Gaulle), le chef lyonnais Paul Bocuse... C'est dans ces murs aussi que j'appris à mieux connaître mon ami Roger de Montebello, petits-fils du duc, ses cousines Sabran, les Breteuil... Une famille très unie, drôle qui vivait simplement et s'amusait beaucoup. La duchesse Solange servait le soir après dîner du tilleul venant de leur propriété de Libourne, les dîners étaient souvent monochromes, concocté par un chef emprunté à quelque ambassade, le service impeccable et un protocole royal qui effrayait un peu - c'était voulu - le jeune homme mal dégrossi que j'étais. Combien d'après-midi passés dans le jardin à papoter... Et cette fameuse visite de la reine mère d'Angleterre venue inaugurer des vitraux restaurés de San Giovanni e Paolo qui passa prendre le thé au palais.
 
Walter Richard Sickert, l'artiste qui a peint cette toile (entre 1901- 1904) et qui avait rencontré la princesse à Dieppe fut convié quelques temps après à Venise. Il y réalisa de nombreux dessins et on connait de sa période vénitienne plusieurs belles vues du palais Polignac. Certains de ses dessins sont aujourd'hui dans des collections publiques, comme une très belle ébauche de ce tableau au crayon et à l'encre rouge, conservée à la Whitworth Art Gallery de Manchester.

Vendredi Saint

La pluie et le ciel bas ce matin illustrent ce jour terrible où les chrétiens pleurent la mort du Christ sur la croix. Dans les rues désertes, les pavés luisent et quelques oiseaux s'essayent transperçant par la joie de leur chant la pesanteur du jour. Temps orageux. Lumière violente. 
 
Le double chœur qui débute la Passion selon Saint Matthieu de Johann Sebastian Bach adoucit ces moments que nul croyant ne peut affronter sans ce mélange de terreur, de chagrin et d'espoir. Office des Ténèbres à l'aube chez les dominicains. Beauté des psaumes et du rite millénaire. Les quinze cierges qui brillent dans l'église sombre, l'église vidée de la présence de Celui qu'elle vénère. Gravité des voix qui montent et se répandent. Elles sont au-delà de la plainte ou de la louange. Le visage caché par leurs capuchons noirs, les moines sembleraient de pierre s'ils ne relevaient parfois la tête pour faire éclater leurs voix. Harmonie parfaite. Une expérience esthétique et mystique incomparable.

La certitude qu'avec l'assistance les anges et l'âme des morts sont présents et chantent aussi. Il faut avoir assisté à ce rite très ancien pour comprendre combien les esprits les plus rétifs sont saisis, combien on est très vite placé face à une inextinguible vérité qui nous dépasse et, loin de nous écraser, nous soulève et nous grandit. En découle une envie de louange et une grande joie. Une grande paix aussi. Que ce soit à San Giovanni e Paolo, chez les bénédictins de San Giorgio où sur l'île de Saint François, au couvent des Arméniens ou bien chez les jésuites, le Triduum pascal est un temps très fort, immuable et profond, passerelle entre notre monde imparfait et la perfection de l'amour divin. La plus importante fête de la liturgie chrétienne est commencée. Elle débute par l'horreur d'un abandon, la douleur d'une mort pour s'enflammer dans l'incroyable joie de la Résurrection. Combien de peintres, de sculpteurs, de musiciens et de poètes ont fait de chefs-d’œuvres sur la Pâque chrétienne !
 
Et pourtant, à Venise comme ailleurs, le temps de Pâques qui succède au temps du Carême, le temps le plus important du calendrier liturgique chrétien, comme Pessa'h l'est pour les juifs, passe inaperçu désormais dans notre monde déspiritualisé. Et cela n'a rien à voir avec la laïcité, principe fondamental de liberté et de droit. La vie continue, les touristes arpentent avec autant d'avidité les parcours balisés par les guides au pas de course, les gens vont et viennent dans les magasins, vaquent à leurs occupations. beaucoup se rendront exceptionnellement à la messe du jour de Pâques voire même à la veillée pascale.
 
 
La plupart savent qu'il s'agit de commémorer la mort et la résurrection du Christ. On mange de l'agneau et on cache des poules en chocolat dans le jardin pour les enfants... Mais combien sauront se recueillir un moment en famille et penseront à cet évènement extraordinaire constitutif de ce que nous sommes, de notre civilisation, de notre lien à l'autre, de nos engagements, de notre relation à l'autre ?
"Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure. Le soleil s'obscurcit, et le voile du temple se déchira par le milieu."

03 avril 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SERIE 25) : La Venise de Francesco da Mosto 1ère partie (1-6)

Réalisé pour la BBC, le somptueux documentaire du NH Francesco da Mosto, architecte et Fou de Venise où ses ancêtres sont présents depuis plus de mille ans, n'existe à ma connaissance qu'en version anglaise. Ce film a ses détracteurs et on peut trouver le fringant Da Mosto un peu trop hollywoodien (ou Las Vegan plutôt), mais il a le mérite de présenter avec des phrases claires et de belles images une histoire de la Sérénissime dramatisée et très réaliste.
















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6 commentaires:

AnnaLivia a dit…
J'avais regardé ces émissions il y a quelques années, bien intéressant et quel personnage : ) Bonne journée Lorenzo!
Lorenzo a dit…
Bonne journée à Québec !
Veneziamia a dit…
Dans la série reportage, en voici un très intéressant qui passe actuellement sur tv5.ca et que l'on peut voir sur ce lien : http://video.tv5.ca/ports-d-attache-2/venise Bonne journée Lorenzo !
Coyote a dit…
Dommage qu’il cause en langue roastbeef ce vénitien…. Je n’ai hélas pas saisi le quart de son discours, j'ai du me consoler avec l’image….
Lorenzo a dit…
on va demander à la BBC une version française ou des sous-titres sinon on va s'y atteler.Promis.
dominique a dit…
unusual ... merci

01 avril 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SERIE 24) : Il se nomme Claudio Boaretto


Il est né à Venise et ne parle que le français et... le dialecte. Sa vie, depuis son retour sur les lieux de son enfance, est celle de tous les vénitiens : la barca, la pêche, les copains, les baccari. Il a passé l'essentiel de sa vie en France. Auteur-compositeur et interprète, il s'est exprimé en chantant sa vie durant, dans la lignée des Georges Brassens, Hugues Aufray, Léo Ferré et Jean Ferrat, se taillant une bonne et solide réputation dans le milieu folk francophone. Le peu que je sais de lui me fait affirmer que c'est un vrai poète. Un troubadour. Je vous recommande son blog, écrit depuis Castello qui permet aux lecteurs une plongée directe dans la vie vénitienne. Sa musique sonne vraie et j'imagine une soirée au Paradiso Perduto ou dans un bacaro plus secret, entre amis avec Claudio Boaretto et sa guitare. On prend date ?


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3 commentaires:

Virginie Lou-Nony a dit…
Oui, moi je veux bien prendre date! (en juillet, svp…)
Coyote a dit…
C’est trop d’honneur, Monseigneur…. Merci Lorenzo pour cette élogieuse présentation, les poils de ma barbe en rougissent de confusion…. Petite précision malgré tout : contrairement à mon frère ainé, Renato Boaretto, maitre d’art, créateur d’automates reconnu, notamment et évidemment des personnages de la Commedia dell’Arte, je ne suis hélas pas né à Venise…. Mes parents ont quitté la Sérénissime pour émigrer en France deux mois à peine avant ma naissance…. Il s’en est fallu de peu…. Conçu à Venise, j’ai donc commencé très jeune à voyager pour voir le jour sur les plages Normandes ; Arromanches, Asnelles ont bercé ma prime jeunesse…. Venise, c’était pendant les grandes vacances avec la nona Gemma e el nono Giovanni…. Mia Mama ne parlant que le vénitien, (elle trouvait l’italien trop snob) ce fut ma langue maternelle, j’appris plus tard le français à l’école…. Merci encore Lorenzo pour « le vrai poète » mais c’est un qualificatif lourd à porter pour mon modeste talent…. Je préfère me présenter plus naturellement comme un « artisan parolier » et revendique plus facilement le titre « d’artiste »…. Pour mes chansonnettes, c’est quand vous voudrez, mais devant un auditoire francophone car la richesse de la rime française ne touche pas encore le public italien….
Anonyme a dit…
OK Claudio, on attend le jour J. 
Venessiamente 
Gabriella

27 mars 2012

La Galerie de Tramezzinimag : Enzo Pedrocco et le quotidien, ce qu'on préfère à Venise...

Pour bon nombre des lecteurs de TraMeZziniMag, c'est d'abord la vie quotidienne qui plait avec son charme, ce rythme unique qu'on ne retrouve dans aucune autre ville du monde. D'autres mettront en avant la musique, les restaurants, les baccari, les reflets qui démultiplient à loisir tout ce que notre regard peut capter de beauté, il y en a qui ne jurent que par les églises ou les palais, Philippe Sollers choisirait les filles, lui qui prétend que Venise est avant tout la ville des femmes quand Rome serait celle des gitons. Certains ne feront pas le détail et englobent tout dans leur amour-passion. Mais n'est-ce pas le vénitien qui est le mieux placé pour décrire ce qui peut provoquer ce délire intérieur quand il s'agit d'évoquer la Sérénissime ? 

Le fringant Enzo Pedrocco de Venessia.com est un vénitien de San Girolamo. Depuis des années, il voit sa ville qui change et pousse de temps à autre de grands coups de gueule salutaires. Ses photos sont régulièrement publiées dans le Gazzettino et bon nombre de sites vénetophiles connaissent ses clichés. Témoin attendri du quotidien, il sait montrer avec humour, parfois avec un brin de mélancolie la Venise d'aujourd'hui. Pedrocco est un bon vénitien. Un vrai de vrai. Un de ceux à qui on aimerait pouvoir ressembler. 

S'il aime à voyager, il revient toujours dans sa ville avec bonheur et son objectif immortalise ces mille sensations ordinaires qui font le doux poison de Venise. Le seul en tout cas qui ne tue pas, mais régénère tout en nous. Ce n'est pas pour rien que le lion de Saint-Marc a des ailes, il matérialise avec splendeur la transformation que Venise opère en nous : il nous pousse des ailes ! C'est un florilège de ses clichés que je vous propose aujourd'hui. 


1 - Un chat à sa fenêtre

2 - la vieille dame

3 - Juifs vénitiens pendant Hag haSoukkot, la fête des tentes

4 - Passeggiata automnale à San Barnaba

5 - San Girolamo au bout de la Fondamenta delle Capucine. les lecteurs s'en fichent certainement, mais j'ai vécu un an un peu plus loin sur la droite, mes fenêtres donnant sur le terrain de sport...

 
6 - Vie tranquille à San Alvise

7 - Jeu de garçons et ses inconvénients. On a tous eu ce petit problème...

8 - Méditation post-méridienne

9 - Sérénité.

10 - Chiachierata

11 - Les joueurs de carte et le caniche. Me rappelle une belle estampe de Mario Rocchi.

12 - Poésie de l'ordinaire.

13 - Cortile secret.

14 - Douce paix du jour.

15 - Petits riens du quotidien. On est loin des touristes et c'est bien.

16 - Venise aussi a sa Movida et c'est chaque soir ! Si seulement nous avions eu cette chance à l'époque de mes vingt ans. Seul le Cherubin à San Luca, et le Haig's près du Gritti restaient ouverts tard le soir. A 22 heures, niente "movida" ! Santa Margherita et la Misericordia n'étaient que désert...

26 mars 2012

Dans les matins de Venise

Toutes les saisons sont belles à Venise. Même les jours de grisaille, quand le ciel est si bas qu'on le confond avec les eaux sombres de la lagune endormie, il y a toujours l'éclat d'un reflet ; l'argent et l'or des coupoles qui surgissent dans l'enchevêtrement des toitures de briques. Mais c'est au début du printemps que la ville est un régal pour les yeux. Peut-être parce qu'on avait oubli cette douceur qui se répand dans l'air et transforme tout ce que nous voyons en bonheur. Il fait plus chaud que d'habitude cette année et l'air s'est soudain rempli de senteurs estivales. "Venise est un bonheur" ne cessent de scander les billets de ce blog. Rien d'exagéré dans ces propos, ceux qui aiment et connaissent Venise le savent bien.
 
Pour les autres, ceux qui n'ont pas encore eu la chance de pénétrer ce mystère, je vous invite à fermer les yeux et à écouter, là où vous êtes, les bruits de la ville, le chant des oiseaux, le clapotis de l'eau... Au loin, une cloche, les bruits d'un chantier, le choc des coups de marteau sur le métal, un groupe d'enfants joyeux qui passe avec leur maître, des dames qui bavardent en allant au marché, plus loin encore des pas sur les dalles, un chien qui aboie... 
 
Évacuez le bruit des automobiles et laissez votre esprit s'imprégner de tous ces sons que transporte la lumière d'un matin de printemps, cette lumière diaphane qui se répand partout comme une chanson joyeuse, enrobe les bourgeons dans les arbres et les cheveux des filles d'un halo mordoré... Vous y êtes ? Hé bien ce que vous ressentez en cet instant c'est ce qu'on ressent quand par un jour de printemps comme celui-ci, on se promène dans les matins de Venise.
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Photo © Enzo Pedrocco - Tous Droits Réservés.

24 mars 2012

Evviva la primavera !

 
Le 20 mars est un jour particulier pour moi. C'est le jour où ma mère est morte, après une longue et terrible maladie. Nous étions en 1993 et mon fils Jean allait naître. C'était un samedi, le premier jour du printemps. La symbolique ne m'a jamais échappé... La mort, la vie, le renouveau... Ne vous y trompez-pas, ce n'est pas un jour triste. Et puis ceux que nous aimons continuent de vivre tant que leur souvenir habite en nos cœurs.

Il avait fait merveilleusement beau toute la semaine et bien qu'épuisée, la vieille dame avait pu sentir les mimosas en fleur et se promener une dernière fois sous un ciel délicieusement clément. Nous avions évoqué, je m'en souviens, les délices de Venise au printemps, la glycine du Caffé del Paradiso derrière les Giardini, ou les grands arbres du vieux cimetière juif du Lido où personne n'allait jamais et où nous évoquions Lord Byron. Elle aimait particulièrement ces promenades au Lido.
 
Elle n'était venue à Venise que quatre fois. La première dans les années 70, étape d'un long périple familial en voiture qui nous mena en Turquie. Les autres fois quand j'y vivais. Elle ne connaissait de l'Italie que Florence où j'ai failli voir le jour, à quelques heures près, la baie de Naples et la Sicile. Venise lui convenait parfaitement, sa beauté, son charme mais aussi sa sérénité, son rythme. Avec mon frère, nous avions même envisagé qu'elle s'installe sur la lagune plusieurs mois par an. Cela n'a pu se faire. Elle est tombée malade. Une de ces terribles maladies dont on sait qu'il n'y a d'issue que fatale. J'aime à croire qu'elle aurait été très heureuse de vivre près de moi, à Venise avec son bon vieux gros chat Jules.
 
C'est justement au Lido que cette photo a été prise. elle est extraite d'un blog que je viens de découvrir, celui de Claudio Boaretto. En fait, nous nous sommes mutuellement découverts. La magie d'internet et les charmes de Venise. Mais je vous en reparlerai.

23 mars 2012

Une vie tranquille et sans histoire

N'est-ce pas l'aspiration de tous, cette idée d'une vie tranquille ? Vous connaissez peut-être les vers bucoliques de Boileau, qui souffrit du bruit et des embarras de Paris - au XVIIe siècle déjà - de son épître au président Lamoignon :
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" Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J’occupe ma raison d’utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construis,

Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui ;

Quelquefois, aux appas d’un hameçon perfide,

J’amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair,

Je vais faire la guerre aux habitants de l’air.

Une table au retour, propre et non magnifique,

Nous présente un repas agréable et rustique :
Là, sans s’assujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu’on boit est bon, tout ce qu’on mange est sain ;

La maison le fournit, la fermière l’ordonne,

Et mieux que Bergerat l’appétit l’assaisonne.
Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !

Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,

Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,

Et connu de vous seuls oublier tout le monde !
"
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Ils m'ont toujours inspiré tant le poète a su exprimer cette soif de paix et donc de sérénité qui nous vient naturellement quand la vie et ses nécessités s'emparent de nous et nous transforment vite en  pantins désarticulés qui suent sang et eau. C'est un rêve d'existence. Une maison agréable, un paysage charmant, la douce promiscuité avec  la nature et sa beauté... Lire, se promener, rêver, manger, dormir... Les urbains que nous sommes auraient cependant - pour la plupart - beaucoup de mal à demeurer ainsi longtemps et le bonheur des premiers jours se transformerait certainement en une hébétude insupportable. Cela m'a toujours étonné, mais j'ai parfois rencontré des êtres de grande culture et remplis de qualités humaines et intellectuelles, se morfondre très vite au contact prolongé de la nature. Je me souviens en particulier de cet ami, aujourd'hui écrivain notoire et homme politique très engagé, avec qui j'étais allé réviser les examens de Sciences po dans une vallée perdue des Pyrénées.
 
Nous y étions comme des fils de roi. Les aubergistes nous concoctaient de plantureux repas, notre chambre ouvrait sur la montagne.Réveillés par les oiseaux et les clochettes du bétail qu'on menait en pâture, nous faisions de longues promenades au-dessus du village, observant la route qui menait en Espagne. La frontière se trouvait alors à quelques mètres de la sortie du bourg. Nous y restions des heures à observer les quelques voitures qui s'aventuraient sur cette petite route biscornue. J'aurai pu mourir là sans regret tellement je me sentais en harmonie avec les lieux.
Un matin, j'avais amené mon camarade assez haut, par un de ces chemins qu'empruntaient les contrebandiers quand il se pratiquait ici le trafic de sel. L'endroit était d'une splendeur incroyable. Il faisait doux sous un ciel dépourvu de nuages. C'était à couper le souffle. Assis sur une pierre, nous demeurions là, contemplant l'horizon où se détachaient les plus beaux sommets du Pays basque, quand mon ami se mit à parler. "Je me demande quelle sera la tactique de Chaban-Delmas et celle de Servan-Schreiber si nous avons des élections anticipées" lança-t-il. Nous étions en 1973, peu de temps avant la mort du Président Georges Pompidou. En disant cela, le bougre s'agitait, faisait de grands gestes et, parlant haut, à la grande surprise des moutons qui paissaient non loin de là, tout échevelé, il s'était mis à faire les cent pas...
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Le voir ainsi avec en toile de fond ce paysage à couper le souffle m'horrifia littéralement. J'en ris maintenant, mais sur le moment je crois que j'aurai pu l'étrangler : Sa voix couvrait le chant des oiseaux et ses propos me semblaient tellement incongrus sur cette montagne, par ce magnifique après-midi de printemps. Nous nous sommes disputés tout le long du chemin jusqu'au village. Le lendemain, il reprenait l'autocar pour Bordeaux, m'avouant qu'il n'en pouvait plus du silence, de la paix de ces montagnes et du chant des oiseaux... Je restai seul une longue semaine, appréciant ma solitude, me demandant si cette vie-là pouvait être sacrifiée à une carrière ou une ambition... "Tu finiras notaire au fin fond d'une province et tu t'ennuieras de l'éclat des villes" me disait-il souvent. Je ne suis pas devenu notaire, mais je ne me suis jamais lassé de la vie tranquille. Vivre en ville reste pour moi une obligation que je supporte tant bien que mal et de moins en moins...
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Quel rapport avec Venise ? me demanderez-vous. J'allais y venir. Quelques années plus tard, quand le hasard m'a permis de m'installer en Italie, j'ai ressenti la même plénitude que dans mes montagnes. Par un joli soir d'été et au beau milieu de la ville. Ce n'était certes pas n'importe où : J'avais été invité à visiter la Ca'Dario, cette fameuse maison où Henri de Régnier habitait quand il séjournait sur la Lagune. Après la visite du palazzo, on me permit de rester un moment dans le jardin. L'herbe venait à peine d'être coupée et un jardinier taillait les branches d'un arbre. D’innombrables oiseaux chantaient. Au loin des cloches sonnaient. Il n'y avait pas un signe d'agitation. Le vieux jardinier ratissait une allée, une corneille arpentait le haut du mur qui sépare le jardin du charmant campiello que les lecteurs de TraMeZziniMag connaissent tous. La douce chaleur, l'odeur de l'herbe coupée, le chant des oiseaux... tout contribuait à isoler mon âme de toutes les sottes préoccupations qui auraient pu s'emparer d'elle. Je savais déjà que j'avais trouvé l'endroit où mon être tout entier s'épanouirait, mais j'eus soudain la certitude que Venise était un miracle : une création non naturelle qui pourtant s'avérait totalement, incroyablement naturelle.
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J'ai su depuis que bon nombre d'auteurs avaient réfléchi sur cette opposition nature/anti-nature pour l'appliquer à la cité des doges et à son environnement. C'est bien cela le miracle de Venise : née d'une nécessité vitale pour l'homme (échapper aux barbares et se mettre définitivement à l'abri tout en organisant une vie sociale et commerciale performante), la cité des doges est, de par ses liens avec l'eau, celle des fleuves, celle de la lagune, des marais et de la mer, totalement naturelle. Nulle autre ville au monde n'est construite sur cette dichotomie. C'est pourquoi, Venise, même envahie par les hordes de touristes qui débarquent chaque jour, reste au même titre que cette montagne qui fit fuir mon brillant camarade, les polders du Cotentin où nous avons notre maison ou les plages de l'océan, un endroit paisible et serein où je puis déclamer sans ridicule, les vers de Monsieur Boileau.

22 mars 2012

Quand le diable gesticule

Nos temps apocalyptiques ne portent pas à la légèreté et à l'insouciance quand des enfants sont pris pour cible par des illuminés qui n'ont rien compris à ce que croire veut dire. Paix, Amour et Beauté ont de tout temps dicté à l'espèce humaine les plus belles réalisations qu'on puisse imaginer rappelant bien que l'être humain est à l'image de Dieu. Mais Dieu, s'il existe vraiment ne peut absolument pas être ce monstre vengeur et impitoyable guidant le geste d'un vaurien fanatisé. pas une once de Lui dans les récents évènements de Toulouse et de Montauban pas plus qu'Il ne pouvait être là dans les geôles de la Sérénissime ou du Royaume d'Espagne quand l'Inquisition s'adonnait à la torture en Son nom. 

C'est bien plutôt du diable dont il s'agit qui s'empare peu à peu de nos esprits perturbés par le doute, la facilité et tout ce qu'il y a de plus vil dans l'esprit humain. Parfois une lueur apparait, c'est un espoir mais c'est surtout la fluorescence du mal qui s'étiole. La réaction unanime devant l'horreur du crime de Toulouse, la dignité des politiques, la beauté de ce peuple qui s'est senti uni, solidaire dans ces moments graves et a voulu montrer son empathie aux familles des victimes, tout cela a fait reculer un instant le mal. Hélas, si les idées de Savonarole étaient accueillies à Venise comme la pensée d'un homme dont l'intelligence et le savoir renforçaient la grandeur de Dieu en renforçant celle de l'homme, ailleurs on l'attendait pour le brûler tant il faisait peur aux sages et aux savants infestés pas leur toute-puissance et leur ambition. Il fallait l'esprit des vénitiens pour entendre les mots de Paolo Sarpi ou d'Érasme.

Rien n'a vraiment changé dans le monde. L'humanité continue de produire le mal par manque d'amour, par manque de connaissance, par manque de discernement. Un fou qui tue au nom d'Allah, des hommes qui détruisent au nom du profit, partout des êtres qui s'entretuent, abandonnent, trahissent, oublient, tout cela procède de la même infamie : le manque d'Amour.