21 novembre 2016

Venise hier et Venise aujourd'hui : combien les choses ont changé !


Si Ambroise Tardieu, archéologue et généalogiste, qui fit de son long séjour à Venise un récit parue dans la revue de Lyon en 1884, puis dans un ouvrage regroupant le récit de tous ses voyages en Italie et Afrique, pourrait dire encore aujourd'hui que "A Venise la belle société parle français" et que "Les artistes, les hommes de lettres, les savants sont recherchés, fêtés." 

Il ne reconnaitrait plus rien de la ville qu'il a fréquenté et aimé durant sa vie vénitienne ; "tout est d'un bon marché sans égal. A Venise, la vie coûte moitié comme en France"...
  
Enthousiaste, il semble n'avoir pas connu la venise aux remugles nauséabonds qui incommodèrent tant Thomas Mann et son professeur Ashenbach : "On se figure généralement que l'air de Venise est malsain ; qu'il doit y avoir une atmosphère humide  aux personnes atteintes de phtisie ; on le recommande spécialement aux anémiques ; à ces derniers, le calme de la ville convient à merveille car on n'entend aucun bruit de voiture". Que dirait-il aujourd'hui du bruit des moteurs de bateau qui pétaradent sur le grand canal ?

"On ne rencontre aucun chien dans les rues de Venise. Cela tient, dit-on, à la taxe élevée qui leur est appliquée." je me suis pris à rêver en lisant cela, que remettre une taxe et revenir à l'obligation de la muselière comme il y a encore trente ans pourrait faire cesser cette invasion. Surtout quand peu à peu le chat, animal souverain à Venise, grand allié de sa salubrité, disparait des rues de la Sérénissime.

19 novembre 2016

Pasolini à Venise

Pasolini et son acteur fétiche à San Barnaba, non loin du siège du PC de Dorsoduro.

Ecrire toujours et sans cesse ! Journal d'automne (extraits)

Vendredi 4 novembre. 
Écrire. En dépit de tout, du doute, de la peur. Écrire pour vivre. Comme un cri lancé au monde, un chant, une prière. Écrire comme on respire. Dire au monde ce qu'on a sur le cœur, ce qui nous fait vibrer, trembler ; ce qui nous pousse à nous lever le matin ; Hurler sa foi, son désespoir ou sa joie. Aligner les mots qui jaillissent du fonds de notre être et se répandent presque malgré nous,s ans retenue parfois, comme pour échapper à notre vigilance, à notre censure. Ils sont libres ces mots et rusés. Ils s'emparent de l'idée qui germe timidement dans notre tête et éclatent au grand jour. Parfois maladroits, déplacés ou obscurs. Je crois que je pourrais tout accepter sauf l'interdiction d'écrire. J'en mourrai. Pourtant je n'écris que pour mon plaisir. Certes la joie d'être lu et apprécié compte beaucoup dans ce bonheur-là. Mais l'écriture est le seul moyen que j'ai trouvé en moi pour rendre grâce, pour répandre ce que mon âme contient de joie. C'est tout ce que je puis donner. Tout ce que je sais donner. 

[...] Venise est un élément important de ce qui me permet de fonctionner ainsi. Sa beauté, ses mystères, la relation que j'ai avec la ville depuis toujours, ce qu'elle signifie pour moi, ce qu'elle me communique et qui se répand dans mon sang et s'y répandait déjà bien avant moi, tout cela est unique. Je m'en nourris pour en nourrir mes mots. Bien pauvre est le résultat bien que beaucoup de lecteurs semblent y trouver du plaisir.Ils sont bien indulgents. J"ai toujours été sans complaisance avec ce que j'écris. Combien de pages brûlées, déchirées. Combien de larmes et de grincements de dents avant que de me satisfaire de quelques lignes. Souvent, pressé par le temps, je m'efforce de ne pas relire. Je jette en pâture ce que mon cerveau a éructé. De toute manière cela ne me plait pas ou rarement... Cette incapacité parfois - souvent ? - à exprimer vraiment ce qu'on a à dire. Ces mots qui se dérobent, ces expressions qui sonnent faux comme un mauvais jeu. Mais écrire et écrire encore...


6 novembre. 
Il y a trente six ans aujourd'hui mon père quittait ce monde. Je suis plus vieux que lui aujourd'hui mais il me manque comme au premier jour. 

Commencé le magnifique opuscule de C.S. Lewis, (l'auteur de Narnia et de Surpris par la Joie), Diario di un dolore (A grief observed) que j'ai longtemps cherché en français sans le trouver. Écrit après la mort de sa femme, j'y retrouve des sentiments vécus avec la mort de mon père, puis celle de ma mère. 

Je devrais être à Venise mais des impondérables ont eu raison de ma détermination. Ma valise n'est pas défaite pourtant et le chat semblait s'être fait à l'idée de repartir.Je me demande en fait si j'ai envie de repartir ; si j'ai vraiment besoin désormais d'être physiquement à Venise. la ville a tellement changé. Rien finalement n'est plus vraiment pareil. "Un nouveau Pompéi" comme le clamaient il y a quelques jours les vénitiens et dont Libération se fait aujourd'hui l'écho. 

Mes deux derniers séjours, en mai et en juillet m'ont glacé le sang. Une ville livrée aux barbares, à un tourisme de masse qui devient impossible à supporter. La Venise virtuelle que je côtoie chaque jour à distance avec mes études et mes lectures n'est-elle pas plus authentique finalement ? La vrai est écartelée entre des visiteurs low-cost qui saccagent, polluent et encombrent et des snobs étrangers méprisants et prétentieux qui se croient vénitiens plus vrais que les vrais vénitiens, ne sortent qu'entre eux et de plus en plus de parvenus de la jet-set mondialisée qui consomment du luxe à haut niveau et n'apportent rien à la ville. Quelle place pour les vénitiens au milieu de tout cela ? 

18 novembre.
Loupé la Table-ronde organisée sur le thème Venise : fascination à l'Institut Bernard Magrez, un des mécènes de l'ouvrage commenté sur ce site où ont écrit mes amis Francisco Rappazzini, Alain Vircondelet, et d'autres sous la direction de delphine Gachet ( Venise, chez laffont, collection Bouquins). Heureux d'y avoir été invité alors que, pensant être à Venise à cette période, j'avais laissé l'information de côté. Finalement  une toux infernale et la migraine qui suivit m'ont fait rester chez moi avec le chat sur mes genoux et Diario di un dolore de CS. Lewis que je n'avais jamais trouvé et que j'ai découvert cet été à la librairie de la Toletta. en tout cas, quel joli travail de promotion (et l'ouvrage mérite qu'on parle de lui tellement il est excellent, bien fait, agréable et complet) : après la première présentation au teatrino du Palazzo Grassi en mai, où j'ai fait la connaissance de Delphine Gachet, il y a eu la rencontre avec les bordelaisà la librairie Mollat, puis de nouveau à Venise, à l'alliance Française en octobre, et jeudi chez Magrez, dans son merveilleux petit château Labottière dont je rêvais enfant. Planté dans un joli parc quasiment en plein centre de Bordeaux, il était alors presque à l'abandon et mon père songeait à l'acquérir au grand dam de ma mère que l'ampleur des travaux et la taille du palais effrayait. Jolis souvenirs d'enfance. J'y retourne toujours avec beaucoup de plaisir et puis le vin qu'on y déguste est très bon. Ce fut la demeure de fameux libraires et typographes bordelais au XVIIIe siècle. Déjà le livre et ses lieux m'attiraient... Mais comme dirait un libraire de Venise qui me connait peu, " il est curieux ce Lorenzo !"...
 

Bon Anniversaire mon fils !


Jean, tu as vingt-trois ans aujourd'hui  ! Combien le temps a passé vite depuis ces premières heures où je t'ai tenu pour la première fois dans mes bras. Tu n'avais pas une heure. Mon émotion, ma joie, le bonheur de ta mère, celui de tes sœurs. Je te revois dans le berceau de verre, entouré de peluches plus grandes que toi. Ce nounours bleu qui ne te quittera pas pendant des années faisait presque figure de géant ce premier jour ? 
Joyeux Anniversaire mon fils.

18 novembre 2016

La Venise d'avant


L'église de la Pietà que l'on peut voir aujourd'hui sur le quai des Esclavons n'est pas celle où Antonio Vivaldi dirigeait les jeunes musiciennes du couvent. L'église qu'il connut et où eurent lieu les nombreux concerts qu'on venait écouter de toute l'Europe a été démolie et reconstruite entre 1745 et 1760, donc après sa mort (survenue en 1741 à Vienne. L'Ospedale où vivaient les jeunes filles que faisait travailler le prêtre roux a été remplacé par un palais aujourd'hui transformé en hôtel, l'Albergo Metropole. La gravure ci-dessus montre l'entrée de la chapelle de l'Ospedale della Pietà telle que Vivaldi et ses jeunes musiciennes l'ont connue et la première église démolie. Entre l'église d'alors et le bâtiment de l'hôtel, la calle della Pietà existe encore, peu ou prou telle que Vivaldi l'aura connue. Jusque dans les années 1740, deux passages communiquaient entre l'Ospedale où vivaient les enfants et l'église exactement au niveau de la tribune des choristes. L'ancien passage au fond de la ruelle, qui liait les bâtiments de l'institution sert toujours. 

L'oratoire qu'on voit sur la gravure, à droite de cette ruelle donnait sur le parloir. La porte-tambour qui contenait un berceau (à l'origine une sorte de lavabo) existe encore. Appelée la ruota dgli Innocenti. Cylindre de bois tournant sur des rails qui permettait de déposer un bébé sans être vu mais aussi de enfants un peu plus grands. On peut la voir ouvrant sur le mur de l'hôtel qui est celui de l'ancien orphelinat. Placée à l'origine directement sur la Riva degli Schiavoni, puis près du ponte dei Bechi, endroit plus discret mais surtout adjacent à la salle des nourrices où on allaitait les nouveaux-nés. Autres vestiges visibles désormais par le public : la cour du couvent avec son puits et le magnifique escalier hélicoïdal avec sa rampe ancienne qu'empruntaient les jeunes filles pour rejoindre leurs dortoirs. Cour et escalier font partie de l’hôtel depuis les années 90, quand il a été agrandi. 


On peut encore voir aussi deux simples colonnes de pierre, vestiges de l'ancien oratoire, dans le hall de l'hôtel. Est-ce l'esprit du prêtre roux qui fit décider Pierluigi et Elisabeth Beggiatole, propriétaires de l'hôtel depuis la fin des années 50, d'organiser régulièrement des concerts de musique de chambre ou des récitals de chant dans un salon à côté du hall ? Certainement. D'autant que l'esprit de la musique y vibre en permanence puisque la salle se trouve à l'emplacement exact de l'ancien oratoire où Vivaldi retrouvait ses élèves. Mais ce fut surtout à la mémoire de leur fils, jeune musicien au talent prometteur, mort dans un accident de voitures.


Il y aurait mille autres choses à dire sur l'Ospedale. Expliquer comment ces orphelins vivaient, comment tout était organisé. Des trois institutions similaires de la République intra-muros, seule la Pietà accueillait les enfants abandonnés. Il fallut en 1548 le rappel d'une bulle du pape Paul III, gravée dans la pierre près de l'entrée, pour rappeler à l'ordre les gens tentés d'abandonner en toute discrétion leur enfant alors qu'ils avaient les moyens d'assurer leur subsistance. Loger et nourrir, élever, soigner, éduquer, tout cela coûtait fort cher et la république, bienveillante, ne pouvait tolérer qu'on profite des œuvres charitables quand on pouvait soi-même faire face aux besoins des autres. 

Lorsqu'il m'arrive de faire visiter à des amis cette partie de Venise, je constate que mes hôtes ont toujours la même réaction dans ces lieux. Est-ce la personnalité du musicien et le fait que ses compositions soient si populaires ? Est-ce l'émotion que provoque l'idée de ces abandons systématique d'enfants pauvres ou illégitimes ? Mais tous mes visiteurs ressortent assez émus de leur passage dans ces lieux. Plus que ça, ils en repartent avec la sensation que les lieux sont peuplés, vivants et qu'il ne serait pas surprenant, par une de ces failles spatio-temporelles dont rêvent les romanciers et les enfants, de croiser un jour de jeunes orphelines dans leur uniforme rouge de l'époque,dont le rire diaphane contrasterait avec la tristesse de leur condition ou, bien plus triste, une femme cachée par sa bauta qui actionnerait la porte-tambour pour y déposer furtivement un tout petit être avec comme seul bien la moitié d'une image sainte ou d'une carte à jouer (seul signe permettant si besoin était un jour de rompre l'anonymat de l'enfant et lui rendre son nom et son état légitime)... 
 

09 novembre 2016

Message aux fidèles lecteurs de Tramezzinimag et aux autres


Poursuivant notre travail d'archéologues, nous ajoutons chaque jour des billets parus entre 2005 et ce fatidique 28 juillet 2016 où le blog a cessé d'exister après qu'un robot ou un employé imbécile de Google aient décidé de supprimer onze ans de travail, de recherches et des centaines de commentaires des lecteurs. 

Inutile de remuer tout cela. L'élection américaine de ce matin qui ne réjouit en France que les réactionnaires lepénistes (mais la dame Clinton valait-elle mieux après tout ?), nous rappelle que pas grand chose nous vient de ce pays qui n'en n'a jamais été un, conglomérat d'états qui pourraient devenir un jour de vraies poudrières, fait de culture empruntée et dont les meilleurs esprits - et il y en a beaucoup, si, si - sont nourris de culture européenne, judéo-chrétienne autant que gréco-latine Nos racines. Je connais un certain nombre d'intellectuels et d'artistes qui envisagent d'aller s'installer à Québec ou sur le continent européen...

Mais je vais arrêter là, Google serait capable de supprimer à nouveau Tramezzinimag. Sait-on jamais ! Donald Trump est président désormais et, comme chez nous, la fonction est sacrée si l'homme n'est rien et le choix des électeurs lui aussi est sacré...

Et puis, que vaut un site comme Tramezzinimag pour des bouffeurs de hamburger et de café délavé, de sodas et qui ne savent plus ce que marcher veut dire et n'ouvrent jamais de livres sauf des manuels d'auto-défense ou de maniement des armes à feu... Ceux pour qui Venise est en Californie et qui croient encore que nous n'avons pas l'électricité partout et que les parents du président Obama grimpaient aux arbres... Mais je ne vais pas faire mon petit Gaspard Proust ! Lit-il seulement Tramezzinimag, le bougre ?

Bref, chers lecteurs, vous constatez bien évidemment que le blog est peu nourri de nouveautés, de billets d'actualité et d'écrits récents. En revanche, tout ce qui a pu être retrouvé des parutions de la première année du blog est en voie de republication. Nous avons décidé de cesser de publier les billets anciens à la date du jour en mentionnant qu'il s'agit de textes publiés en leur temps sur l'ancien blog que nous avons baptisé post mortem Tramezzinimag I.

De même, faute de temps, aucun lien n'a encore été mis en place sur le blog créé à titre provisoire et dans l'urgence en juillet dernier, depuis Venise, après que le couperet soit tombé. Oui chez Google, comme dans la plupart des états qui ont élu leur 45e président, on défend la peine de mort ! 

Mais chez nous, David l'emporte toujours sur Goliath. Histoire de morale et de foi !

La priorité est donc donnée aux archives à reconstituer. Fiers d'avoir été ces nombreuses années, une source d'information reconnue et souvent citée, outil souvent utilisé dans les CDI par les collégiens et les lycéens, et leurs professeurs qui avaient pris l'habitude de nous consulter pour organiser des voyages scolaires différents, comme des sociétés de production des télévisions francophones qui ont fait appel à nous à plusieurs reprises. (Que ceux qui ont eu la délicatesse de mentionner Tramezzinimag dans leur générique soient remerciés au passage). 

Bien sur nous ne sommes plus les seuls depuis longtemps. D'excellents sites et blogs francophones prolongent notre travail et le font souvent bien plus assidument que nous (ils sont sur place aussi, ce qui facilite la réactivité, quand votre serviteur et sa petite équipe, en sont encore à réfléchir sur le lieu et la date de l'installation définitive à Venise (Le Grand Retour !). 

Pour ne citer que, parmi les nombreux frères ou cousins plus jeunes de Tramezzinimag, les excellents et indispensables e-venise.com et destination-venise.net qui ont toujours eu l'extrême gentillesse et la correction de citer Tramezzinimag qui est aussi référencé sur la plupart des sites francophones consacrés à Venise. Je ne cesserai jamais de remercier tous ceux qui nous soutiennent et nous encouragent depuis 2005 ! 
Merci de votre patience. Les nouveaux billets se préparent et promis, nous allons essayer de publier des nouveautés en même temps que nous rechargeons les archives récupérées chaque jour.Merci de votre fidélité et de vos nombreux messages d'encouragement (en revanche, les commentaires se font rares. Nous en avions plusieurs milliers dans l'ancien blog !)

07 novembre 2016

Venise fascination : Table-ronde à Bordeaux à l'Institut Bernard Magrez

Jeudi 17 novembre, l'Institut Bernard Magrez propose aux aquitains de venir rencontrer Delphine Gachet, Marc Agostino et Alain Vircondelet, sur le thème de la fascination de Venise. Tramezzinimag y sera peut-être si votre serviteur n'est pas encore reparti pour Venise. Les protagonistes invités dans ce lieu merveilleux sont la directrice de l'ouvrage Venise, Histoire, Promenades, Anthologie & Dictionnaire paru en mai dernier chez Robert Laffont dans la collection Bouquins (cf. Tramezzinimag du 08/05/2016).

Comme le mentionne le site de l'Institut : 
Venise - "l’un des secrets les plus poétiques qui aient jamais existé sur cette terre", selon l’un de ses meilleurs connaisseurs, Dino Buzzati – ne cesse de fasciner ses innombrables visiteurs par sa splendeur architecturale et son mystère troublant et enchanteur. Fruit du travail conjoint de collaborateurs français et italiens venus d’horizons différents, le livre Venise, Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire plonge au cœur de cette ville mythique au fil d’une exploration minutieuse et originale qui contredit bien des clichés sans altérer sa légende. Une cité hors norme dont le prestige se nourrit de l’imaginaire qu’elle suscite. La ville de l’amour, de la séduction, de la sensualité, mais aussi le symbole de la fin d’un monde. 
Trois des collaborateurs, tous vivant et travaillant à Bordeaux, qui ont permis au livre d’exister. Delphine Gachet, docteur en littérature comparée, est maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, traductrice (et grande spécialiste) de Dino Buzzati et de nombreux autres écrivains italiens. Avec le Professeur Alessandro Scarsella, elle a co-dirigé et collaboré à l’ouvrage présenté. Marc Agostino, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne, spécialiste de l’histoire des religions et de la papauté. Alain Vircondelet est écrivain et universitaire. Vénitien de cœur, il a consacré plusieurs ouvrages à Venise (dont Devenir Venise, Nulle part qu’à Venise, Le grand guide de Venise). La table ronde - conférence aura lieu jeudi 17 novembre à 20 heures et sera suivie d'une dégustation de vins Bernard Magrez en partenariat avec la Librairie Mollat. Les réservations se font en cliquant ICI 

Comme un chant qui monte dans la nuit

Fiat pax in virtute tua et abundantia in turribus tuis. Ces mots magnifiques du psaume 122 me sont venus à l'esprit ce matin. Comme un souffle de joie et d'espoir dans un monde de plus en plus empêtré dans une obscurité nauséabonde... 

Rassurez-vous, TraMezziniMag ne va pas joindre à ses rubriques des leçons de morale spirituelle ni de cours de religion. Jusqu'à la suppression de mon compte en août dernier, il y avait un blog pour cela né quelques années après celui-ci à la suite de la mort du Frère Roger, le prieur de Taizé, qui fut un de mes guides spirituels. Un de ces maîtres des âmes à qui je dois de ne m'être pas égaré. La beauté de ce chant illustrait parfaitement ce matin à l'aube, l'air vif rempli de senteurs, la lumière naissante qu'un vent froid faisait danser sur les façades, jouant avec le reflets sur les fenêtres, la laissant se poser sur les branchages et se projeter sur la pierre des façades de ce vieux quartier où je vis. Partout le silence. Puis soudain un chant d'oiseau suivi presqu'aussitôt du tintement d'une cloche. Saint-Michel ? Saint-Paul ? Saint Eloi ? Sainte-Croix même ? Comme libéré par ces deux sons qui ont depuis toujours pour moi un effet magique, les bruits de la ville se sont emparés des lieux. Voix humaines, grincement des rideaux de fer des boutiques, clochette du tram et l'inévitable sirène des pompiers ou des cow-boys toujours pressés et bruyants. Les bruits de la ville. Ceux-là même à peine différents et plus forts en décibels que ce vacarme qui faisait tant souffrir Sénèque dans la Rome de ou Boileau dans le Paris de Louis XIV... 

Ces impressions matutinales souvent déterminent mon état d'esprit du jour. Encombré par une bronchite qui n'en finit pas, avec une liste trop longue de choses à faire sans faute, je pourrais avoir l'humeur sombre et rester couché. Un thé brûlant et des biscuits, de la musique, un bon livre... De quoi tenir et oublier le reste du monde... Pourtant le psaume qui m'est venu ce matin au lever comme un souvenir lointain m'a étrillé le cœur. Je ne suis pas à Venise mais ce sera pour bientôt. je ne suis pas en haut des collines de La Réole, admirant le lever du soleil se reflétant sur les méandres de la Garonne loin en bas, mais je suis. Rempli d'idées et de joies, d'espoirs et de volonté. Le cri de joie du psaume, je l'identifie à tout cela. Au souvenir de la joie des matins solitaires dans une Venise vide encore de tout ce qui l'encombre. Sous une lumière unique que nul endroit au monde ne parvient à égaler. Et même éloigné d'elle, tout ce qui constitue celui que je suis est avec elle, en elle. Et je dis avec le roi David : "Que la paix soit dans tes murs, et la tranquillité dans tes palais !"

Lien pour écouter le psaume : ICI

06 novembre 2016

Journal - novembre 2014 (extraits)



2 novembre 2014.
Le brouillard ce matin quand j'ouvre mes fenêtres, le silence approximatif dû aux vacances, les préparatifs du marché voisin, ce ciel gris rempli du cri des mouettes et des corneilles qui se mêlent, cette odeur particulière qu'on sent ici, près du port parfois avec la marée et qui rappelle tellement les effluves de la lagune le matin quand je me promène le long des Zattere ou sur les Fondamente Nuove. Et puis ce désir de La revoir, ce besoin impérieux de me fondre de nouveau dans ses ruelles sombres, de me délecter du chant des cloches à midi, du bruit que font mes pas sur les masegne millénaires où tant des miens avant moi ont marché... 

Mardi 4. 
Joli soleil ce matin après la brume. Odeurs délicieuses d'humus et de feu de bois.

Mon amie Catherine qui vit à Munich y sera dans quelques jours avec une de ses amies américaines, Darlene que j'ai reçu autrefois dans notre maison de l'impasse Guestier. Elle a un fils de vingt ans dont mon amie est la marraine. Elles ont convenu de se retrouver à Venise mais Catherine, persuadée que j'y vivais à l'année, m'a écrit pour que nous nous y voyions... Vais-je pouvoir me libérer et aller moi aussi à Venise ? Vais-je pouvoir l'accueillir et leur faire découvrir mes endroits favoris, leur faire ressentir ces impressions uniques qu'on ne peut ressentir qu'à Venise ? Nous en avons tellement souvent parlé autrefois, lorsqu'elle vivait en Californie et que j'avais abandonné les rives de l'Adriatique pour celles de la Garonne... 

Elle sera logée à la Ca' del Campo, sur le campo della Guerra du 18 au 21 mai. Si j'y allais du 18 au 26 par exemple ? Le 17 je serai à Lyon pour l'Assemblée Générale annuelle du Refuge. Lyon-Venise cela ne doit pas être trop compliqué, de jour ou de nuit. Passer trois jours avec Catherine et ses amis californiens (ils logent au Hilton Stucky à la Giudecca - ce qui n'est pas du meilleur goût hélas) puis rester seul - où avec Constance ou Jean s'ils peuvent me rejoindre - afin de chercher comment je pourrais bientôt être logé régulièrement et poser mes malles une fois pour toutes, faire les démarches nécessaires pour obtenir ce statut de résident auquel j'aspire depuis si longtemps, revoir mes anciens amis restés ou revenus à Venise. 

Mieux connaître Julien et voir selon lui ce que je puis faire à Venise. Pour Venise ; parler avec lui de Delvaille aussi... Revoir Roger et sa peinture ; faire la connaissance de son épouse... Et puis Manfred, Gabriel, Federico, Pippo... Tant d'autres encore... Et puis Antoine va bientôt rentrer d'un de ses énièmes reportages. Aller à Venise avec lui ? Faire enfin ce documentaire dont il me parle tant ? 

Questions, hésitations, doutes. Confusion aussi. Face à tout cela, je me sens perdu comme un oiseau tombé de son nid... 

Lecture de Joseph Joubert. Passionnant personnage dont les pensées font mouche mais qui me laisse parfois une drôle d'impression tant je ressens une grande proximité avec lui. Du moins avec son mode de penser et les critères qui l'ont motivé sa vie durant... Je l'ai découvert en lisant Alain par qui je me suis ouvert autrefois à la philosophie. Tous deux ont parlé à mon adolescence.Je retrouve aujourd'hui Joubert dont personne jamais ne parle. Dommage. 

Pourtant, il a ouvert la route aux plus grands, aux plus neufs. A Rimbaud quand il écrit "La poésie est fantastique" Et quand il écrit "Je n'ai jamais appris à parler mal, à injurier et à maudire", je me retrouve tout entier, autant que lorsqu'il affirme "Ce qui est beau est bien" !

Jeudi 6.
Ce même jour, en 1980, mon père s'éteignait après une longue maladie. J'avais à peine vingt-cinq ans. Je n'en faisais que vingt, sur mon visage et bien moins encore dans mon cœur. Pourtant sa disparition soudaine a fait de moi un homme, avec ses souffrances et ses ardeurs. La mort de mon père a été un révélateur dont j'aurai certes aimé faire l'économie, mais qui m'a propulsé dans le monde des vivant. Rien après ce jour n'a jamais plus été comme avant. 

Chaque année, je repense à ces derniers jours dans la grande maison où plus rien n'allait. Je revois la soirée de mon anniversaire, le triste dîner où il fut à peine présent, son regard fatigué et absent. Il savait qu'il n'en avait plus pour très longtemps. Quelques jours avant, nous avions fait une promenade. Pour la première fois, nous avons réellement parlé ensemble mais il y avait tellement de choses à dire, tellement de temps à rattraper. Hélas, aux mots succédèrent vite un silence pesant. Trop de pudeur. Trop de silences... Nous sommes rentrés à la maison sans plus parler. Il est allé garer la voiture, je suis monté dans ma chambre... Je n'ai plus jamais eu l'occasion de m'entretenir avec lui. Quelques jours plus tard, mon oncle au téléphone m'apprenait sa mort... Il avait à peine cinquante neuf ans. 

"Un honnête homme meurt toujours jeune, c'est-à-dire trop tôt" (Joubert).